Aller au contenu

De la dépendance au pétrole à la résilience locale

De la dépendance au pétrole à la résilience locale –

Manuel de Transition – de Rob Hopkins

 

 

En 1990, Rob Hopkins avait visité la vallée des Hunzas dans le nord du Pakistan, qui avait été presque entièrement coupée du monde extérieur jusqu’à l’ouverture de l’autoroute du Karakoram en 1978 : « J’avais affaire à une société qui vivait à l’intérieur de ses limites et qui avait développé des moyens d’un raffinement effarant pour y parvenir. Tous les déchets, y compris les excréments humains, étaient soigneusement compostés et retournaient à la terre. Les terrasses construites sur les flancs des montagnes étaient irriguées avec une précision stupéfiante par un réseau de canaux. Il y avait des abricotiers partout, de même que des cerisiers, des pommiers et d’autres arbres fruitiers. Des pommes de terre, de l’orge, du blé et d’autres légumes poussaient sous ces arbres et autour. Les gens avaient l’air de toujours avoir le temps de s’arrêter et passer du temps avec les enfants qui couraient pieds nus à travers champs. Hunza est tout simplement l’endroit le plus beau, le plus tranquille, le plus heureux et béni d’abondance que j’aie jamais visité, auparavant et depuis lors. »                Il s’agissait d’un territoire de résilience, une aptitude à fonctionner indéfiniment à l’intérieur de ses limites, et de prospérer pour avoir su y parvenir.

En 2003, Rob enseignait à Kinsale en Irlande quand il entendit parler du pic du pétrole directement par le plus grand expert mondial sur le sujet, le géologue pétrolier Colin Campbell. Après avoir partagé cette information avec ses étudiants, Rob travailla avec eux pour créer le Plan de descente énergétique de Kinsale, qui fut par la suite adopté comme principe d’action par le conseil municipal. Comprendre que les problèmes de pic pétrolier et de réchauffement climatique résulte d’une multitude d’actions individuelles implique d’en assumer la responsabilité. Revenu en Grande-Bretagne, Rob lance le Transition Town dans la ville de Totnes au début de 2006. Cette initiative se répandit d’un bout à l’autre du Royaume-Uni. Voici quelques extraits recomposés de son livre.

1/7) Les Jumeaux de l’hydrocarbure

Il s’agit de considérer le talon d’Achille de la mondialisation, son extrême dépendance à l’égard du pétrole. La transition vers une organisation plus locale de la vie n’est pas une affaire de choix, c’est la direction dans laquelle l’humanité ne peut faire autrement que de s’engager. Rebâtir une agriculture et une production alimentaire locales, localiser la production énergétique, repenser les soins de santé, redécouvrir les matériaux de construction locaux, repenser la manière dont nous gérons les ordures : tout cela développe la résilience. Bien sûr, les initiatives locales ne sont pas l’unique réponse au pic pétrolier et au changement climatique ; toute réponse cohérente nécessitera également des réponses du gouvernement et du monde des affaires à tous les niveaux.

Changement climatique et pic pétrolier sont les jumeaux de l’hydrocarbure. Ces deux questions sont tellement interreliées que si on les considère isolément, une grande partie du problème nous échappe. Sans pétrole à bon marché, vous ne seriez pas en train de lire ces lignes en ce moment. Quand vous vous mettez vraiment à y penser, ce n’est pas seulement ce livre qui n’existerait pas. La plupart des choses qui vous entourent dépendent du pétrole à bon marché pour leur fabrication et leur transport. Ce n’est pas pour rien qu’on parle des carburants fossiles comme d’une très vieille lumière solaire ; ils ont une incroyable densité énergétique. Comme la potion magique d’Astérix, le pétrole nous rend plus forts, plus productifs et plus rapides que nous l’avons jamais été. On estime que 40 litres d’essence contiennent l’équivalent énergétique de 4 ans de labeur manuel humain. Nous pouvons appeler « Intervalle du pétrole » le bref interlude de 200 ans où nous aurons extrait du sol la totalité de cette extraordinaire substance et l’aurons brûlée.

Le climat planétaire est nettement en train de se réchauffer ; il n’est plus permis d’en douter. Jusqu’où est-il réaliste de permettre à la température de monter ? La réponse est qu’idéalement, nous devrions mettre un terme à toutes nos émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui même, mais ce n’est manifestement pas ce qui va se passer. George Monbiot a déclaré en 2007 : « Réduire les émissions de 90 % ne suffit plus, il s’agirait de 110-120 % de réduction, c’est-à-dire de capter davantage de gaz carbonique que nous en produisons. » Il serait simpliste d’affirmer que le pic pétrolier signifie que le changement climatique va devenir contrôlable parce que nous arrivons à court de carburants liquides à un prix abordable ; la situation est beaucoup plus complexe. Le recours à d’autres carburants, tous pires que le pétrole pour leurs effets sur le climat, est dangereux. Pourtant l’objectif implicite du rapport Hirsch sur le pic pétrolier est de faire en sorte qu’on puisse continuer à faire des affaires comme si de rien n’était aussi longtemps que possible et par tous les moyens, y compris l’emploi du charbon pour produire des carburants liquides. Il n’y a pas la moindre trace de préoccupation quant au changement climatique dans ce rapport.

Le changement climatique nous dit que nous devrions changer, tandis que le pic pétrolier nous dit que nous allons être forcés de changer. Une technologie va nous sauver, une forme radicalement nouvelle de stockage du gaz carbonique, bon marché et efficace. Elle a pour nom : laisser les carburants fossiles sous la terre.

2/7) Quelques erreurs à ne plus commettre

– Nous avons plus de diplômes mais moins de bon sens ; plus de connaissances mais moins de jugement; plus d’experts, mais de plus en plus de problèmes ; plus de médicaments mais moins de santé. Nous multiplions les appareils de communication, mais nous avons moins de communication réelle. C’est une époque où il y a beaucoup en vitrine, mais rien à l’intérieur.

– L’éducation est totalement inadéquate en regard de la Transition qui s’annonce. Les jeunes sortent de l’école sans être préparés à faire face aux besoins pratiques d’un monde beaucoup moins abondant en énergie. Ils ne savent rien en construction, en cuisine, en jardinage ou en réparation.

– Les systèmes de production locaux ont été systématiquement et inflexiblement dénigrés et sapés au cours des soixante dernières années. Pourtant tout au long de l’histoire, il  a été plus sensé de produire localement tout ce qu’on pouvait et d’importer les biens de luxe et les quelques choses que l’on était incapable de produire soi-même.

– Les économies indigènes durables n’expédient pas leurs fruits et légumes par fret aérien. Quand une région se met à faire ça, il y a belle lurette que les fermiers indigènes sont partis, expulsés de la terre aux fins de l’agriculture intensive orientée vers l’exportation.

– Rien ne saurait garder 30 millions d’automobiles et un peu plus de 2 millions de camions sur les routes du Royaume-Uni ni, par extension, les 600 millions d’automobiles et plus dans le monde. Rien. Une dépendance complète à l’égard du transport routier et une distribution centralisée sont les talons d’Achille de la mondialisation économique.

– L’Allemagne a envoyé au Royaume-Uni 1,5 millions de kilos de pommes de terre et nous lui avons envoyé – oui – 1,5 millions de kilos de pommes de terre. Le Royaume-Uni a importé pour 310 millions de livres sterling de bière en 2004 et en a exporté 313 millions.

– Des substituts au pétrole conventionnel ? Les sables bitumineux, c’est un peu comme arriver au pub et s’apercevoir qu’il n’y a plus de bière ; seulement votre désir de prendre un verre est tellement impérieux que vous vous mettez à imaginer qu’au cours des trente ans que ce pub a été en affaires, l’équivalent de 5000 pintes ont été reversées sur le tapis ; aussi inventez-vous un procédé pour bouillir le tapis afin d’en extraire la bière. C’est là l’acte futile et désespéré d’un alcoolique incapable d’imaginer la vie sans l’objet de sa dépendance.

– On débat du fait qu’il resterait pour plusieurs centaines d’années de charbon dans le monde. Mais décider d’utiliser les réserves restantes, c’est essayer de prouver que les climatologues du monde entier se trompent. Il reste assez de charbon pour nous faire bouillir vivants dans notre propre climat.

– Ah, mais nous nous en sortirons, diront certains, grâce à l’hydrogène ! Ou à l’énergie nucléaire ou à l’énergie gratuite produite par des génératrices prélevées sur des ovnis ! L’inventeur est prêt à présenter son appareil en public mais une compagnie pétrolière en a racheté les droits. C’est là attendre après la potion magique.

– Les amateurs de conspirations croient fermement que ces crises sont orchestrées par les puissants de ce monde pour s’enrichir davantage. Internet regorge de demi-vérités et de vraies rumeurs susceptibles de nourrir les mécanismes de déni. Ce déni devient un problème puisqu’il nous empêche de regarder la réalité en face et d’agir. Rappelons que les groupes fascistes ont toujours, historiquement, profité des périodes d’effondrement et de difficultés économiques.

3/7) Quel modèle de transition ?

Historiquement, la croissance économique est très étroitement liée à un accroissement de la consommation d’énergie. Les modèles économiques qui ont si bien fonctionné pour gravir la montagne d’énergie fournie par les  carburants fossiles se révéleront complètement inadéquats pour la descente de l’autre côté. Les mythes que nous entretenons sur notre grande richesse nous conduisent à croire qu’il suffit de dépenser assez d’argent pour que la crise financière se résorbe. Le plan de sauvetage des banques et de l’industrie automobile est le reflet de la croyance que les mêmes outils qui nous ont mis dans le pétrin pourront nous en sortir. Les Agenda 21 locaux étaient fondamentalement des processus du sommet vers la base qui faisaient semblant de ne pas l’être.

Les communautés sont les mieux à même de se pencher sur la façon dont la contraction économique se manifestera dans telle région, telle ville et tel village. Je serais d’avis qu’au lieu d’essayer de faire changer les gens en leur présentant des visions d’Effondrement, les scénarios d’Evolution pourraient fournir la vision d’un objectif final si séduisant que la société se découvrirait l’envie de s’engager dans une transition vers ceux-ci. Créer le monde que nous voulons est un mode d’action bien plus subtil et puissant que détruire celui dont nous ne voulons plus. Les Initiatives de Transition incluent des formations pratiques sur les savoir-faire qui serviront dans la société de l’après-pétrole.

Les Initiatives de Transition fonctionnent le mieux dans le contexte d’une combinaison de réponses partant à la fois d’en haut et de la base, puisque ni l’une ni l’autre ne peuvent faire face au défi isolément. Il semblerait que les gouvernements songent sérieusement à introduire un rationnement carbonique. Il ne s’agit pas de savoir si, mais bien quand le rationnement va commencer, et plus tôt nous commencerons, moins dur il sera. Toutefois, il est important de se souvenir que nous n’avons pas à attendre l’action des gouvernements. En fait, les réponses nationales et internationales ont toutes plus de chances d’être couronnées de succès dans un environnement où les réponses communautaires sont abondantes et dynamiques. De façon générale, les gouvernements n’ouvrent pas la voie, ils réagissent. Ils sont réactifs et non pas proactifs. Il faut cependant rappeler que nous pouvons faire énormément de choses sans le gouvernement, mais que nous pouvons aussi en faire considérablement plus avec lui.

4/7) Agir ensemble pour la Transition

Les Initiatives de Transition opèrent en douceur, sans faire de victimes ou se faire d’ennemis. C’est pourquoi elles ne soulèvent l’ire d’aucune institution. Elles présentent une action concertée et un but commun pour les groupes existants. La construction d’un réseau social est plus important que le nombre de personnes capables de dire qui est King Hubbert. Cela implique de tendre la main à des groupes qui sont habituellement ignorés par les écologistes, telles les Chambres de commerce ou les associations de défense du patrimoine. Il faut ratisser large.

Mais il y a une résistance massive à s’attaquer aux défis environnementaux, les sociétés industrialisées sont accros au pétrole. Modifier le comportement de dépendance envers le pétrole est difficile. Informer ne suffit pas. Sensibiliser le public est d’une importance cruciale, mais il suffit de regarder un paquet de cigarettes pour en voir les limites. Le parallèle est aussi frappant avec quelqu’un qui boit trop. On peut comprendre que son entourage le harcèle avec des critiques, mais celles-ci peuvent accroître la résistance au changement. Plutôt que chercher à convaincre, il s’agit d’abord d’offrir un lieu d’écoute. En fin de compte, il s’agit d’établir un PADE, plan d’action de descente énergétique. Ce PADE ne doit pas être coulé dans le béton, c’est plutôt une collection d’idées à retravailler et réviser régulièrement. En inscrivant la souplesse dans le processus, nous pouvons le rendre infiniment plus puissant et donner à la communauté un sentiment plus fort d’y être impliqué et d’en avoir la maîtrise.

A la lumière des changements d’envergure imminents, il est évident que l’idée de passer au travers en toute sécurité, en changeant seulement nos ampoules ou en baissant le thermostat de quelques degrés, est complètement dérisoire. L’une des causes de ce que l’on peut appeler le syndrome des ampoules électriques est que les gens ne peuvent souvent imaginer que deux niveaux d’intervention : des individus qui font des choses chez eux ou le gouvernement qui agit au niveau global. Le modèle de Transition explore le niveau intermédiaire : ce qui peut être accompli à l’échelle de la communauté. Ce qu’il faut, c’est une échelle à laquelle tout un chacun peut avoir l’impression de contrôler sa vie, une échelle à laquelle les individus deviennent des voisins plutôt que de simples connaissances ou des numéros. J’en suis venu à penser que le niveau idéal pour une Initiative de Transition est celui que vous sentez pouvoir influencer. Dans une ville de 5000 personnes, vous pouvez ressentir une appartenance, elle peut vous être familière. La plupart des villes étaient, historiquement, un assemblage de villages et cela est encore perceptible. L’idée de travailler à l’échelle du quartier n’est pas neuve.

5/7) Exemples d’application

– Quelques leçons de la descente énergétique vécue en Grande-Bretagne pendant la deuxième guerre mondiale : Les autorités locales créèrent des comités horticoles pour conseiller la population en terme de maraîchage, firent la promotion de la frugalité et organisèrent l’enseignement de compétences pratiques. En ce qui concerne les véhicules, le rationnement des carburants mis en vigueur en 1939 limitait la distance annuelle pour les usages non essentiels à environ 2900 km, limite qui fut ensuite graduellement réduite jusqu’à l’abolition des allocations individuelles en 1942. Entre 1939 et 1942, l’usage de la voiture a chuté de 95 %. Nous avons intérêt à apprendre de ceux qui peuvent se remémorer la période entre 1930 et 1960, avant le tout-pétrole. Il est plus facile ainsi de se représenter une vie avec moins de pétrole.

– Un tableau comparatif :

Ne contribue pas à la résilience Contribue à la résilience
Recyclage centralisé

Plantation d’arbres décoratifs

Approvisionnement international en bio

Transactions de crédits carbone

Investissement éthique

Achat de musique sur CD

consommation

Compostage local

Plantation d’arbres productifs

Procédures d’achat local

Investissements  communautaires local

Monnaie locales

Chanter dans un cœur local

réciprocité

– Les terrains des écoles seront transformés en jardins intensifs. Le jardinage est intrinsèquement plus productif que l’agriculture parce qu’une plus grande attention y est concentrée sur une plus petite superficie. Les circuits courts seront mesurés en mètres plutôt qu’en kilomètres. La population prendra plaisir à l’élevage de poulets.

=> Nous apprenons à faire quelque chose en le faisant. Il n’y a pas d’autre façon.

6/7) quelques indicateurs de résilience

La résilience est la capacité d’un système ou d’une commune à résister aux impacts de son environnement extérieur. Des indicateurs permettent de la mesurer :

– le pourcentage de nourriture produite localement

– le pourcentage de monnaie locale en circulation sur le total de la monnaie en circulation

–  le nombre d’entreprises appartenant à des propriétaires locaux

–  le trajet moyen domicile-travail des personnes habitant la ville mais travaillant ailleurs

–  le pourcentage d’énergie produite localement

–  le nombre de bâtiments construits en matières renouvelables

–  la proportion de produits de base fabriqués au sein de la commune dans un rayon d’action donné

–  la proportion de déchets compostables effectivement compostés

Certains indicateurs peuvent s’appliquer universellement, mais beaucoup d’autres seront spécifiques à votre situation et émergeront du processus du PADE.

7/7) Conclusion rapide

Le pessimisme et l’optimisme sont tous deux des distractions qui nous éloignent d’une vie pleinement vécue.

Quand j’ai interrogé Dennis Meadows, un des coauteurs du livre The limits to growth, il m’a dit : « Songez à la quantité de changements qui se sont déroulés pendants les cent dernières années. Tous ces changements ne font pas le poids face à ce dont vous serez témoin au cours de vingt prochaines années. »

L’Initiative de Transition est un concept viral. Il a vocation à se propager…

(édition écosociété, 2010)

Laisser un commentaire