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Le vivifiant début du festival des utopies concrètes

Le vivifiant début du festival des utopies concrètes

 
 

« Ce festival est une coquille de valeurs dans laquelle les initiatives peuvent trouver tribune, fournissant une réponse à l’éternelle question : ’Tout fout le camp, mais que puis-je y faire ?’ »

Eva Deront (Reporterre) – 29 septembre 2012

 

   

 

C’est un joyeux groupe d’une trentaine de personnes qui déambulait jeudi soir dans le 2ème arrondissement parisien, à la recherche d’une table libre. Une atmosphère de complicité entre des citoyens, qui, pour la plupart, ne se connaissaient pas quelques heures auparavant.

Leur point commun ? Avoir été parmi la centaine de participants à la soirée-débat marquant l’ouverture du festival des utopies concrètes, qui se tient à Paris du 27 septembre au 7 octobre 2012. Un festival ouvert à tous et fait par tous. De la permaculture au recyclage, en passant par les monnaies locales et les habitats, les rencontres se veulent être un lieu de partage d’expériences, faisant du festival une pépinière d’idées dans laquelle chacun est appelé à puiser largement.

Un principe simple : initié par le mouvement des villes en transition, il s’agit de mettre en relation toutes les alternatives existantes pour résister aux crises sociale, économique et environnementale que notre société traverse.

Cette aventure qui a débuté en juin 2012 pour ses organisateurs, semble aujourd’hui faire son chemin presque seule, tant l’écho dans le monde associatif local et le désir d’échange entre collectifs ont été grands. En bref, ce festival est une coquille de valeurs dans laquelle les initiatives peuvent trouver tribune, fournissant une réponse à l’éternelle question : « Tout fout le camp, mais que puis-je y faire ? »

Des communautés d’Amérique du Sud…

Ou plutôt des réponses. Car elles sont multiples et internationales. Elles relient le mouvement d’Occupy Wall Street aux Indignés, la renaissance de la ville de Détroit aux Paysans sans Terre, ou encore le rejet des hydrocarbures de schiste en France aux luttes contre l’extractivisme en Amérique du Sud. Cette dernière ressemblance était mise à l’honneur jeudi soir par la présence d’habitants de l’Equateur et du Guatemala, venus partager la détermination et la solidarité cimentant leur communauté.

Comme à Petén par exemple (le département le plus au Nord du Guatemala), où la société pétrolière Perenco exploite depuis 1985 les ressources d’une aire naturelle protégée. Face aux expropriations et aux assassinats, les populations ont fait appel au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme. En 2010, faisant fi de ces résistances, l’Etat guatémaltèque renouvelait le permis d’exploitation de Perenco pour 15 ans et annonçait un projet de « développement » supplémentaire : monoculture, tourisme et pétrole en sont les maîtres-mots, occupant 22 000 des 36 000 km² du territoire.

En Equateur, les Indiens Kichwa de Sarayaku s’opposent depuis 20 ans à l’entrée d’un consortium d’entreprises de prospection pétrolière, encouragée par l’Etat et sa compagnie PetroEcuador. Face au recours systématique à la militarisation, persécution, calomnie et torture de la part du gouvernement, les Kichwa ont demandé la protection de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme. En juin 2012, cette dernière reconnaissait la violation des droits de l’Homme et de la constitution de l’Equateur par le gouvernement. Une victoire ouvrant la porte sur une nouvelle bataille, juridique cette fois.

… aux initiatives locales

L’objectif de la soirée, « faire un pont » entre ces luttes meurtrières et les « alternatives concrètes  » de région parisienne, était un pari risqué. Il fallait, pour le réussir, remonter aux maux et à leur origine. Entendre l’extractivisme dans son sens le plus large, comme l’exploitation de toutes les ressources non renouvelables et du travail humain, requérant en outre la mise en place d’infrastructures polluantes et énergivores. Comprendre son origine : une dette, que les pays en voie de développement s’efforcent de combler en bradant leurs ressources, répondant ainsi aux besoins de populations lointaines.

Des symptômes que le réseau Relocalisons (parmi d’autres), s’efforce de combattre à l’échelle locale, à travers l’autogestion alimentaire et énergétique, la lutte contre le gaspillage et la permaculture. Les initiatives ne manquent pas pour atteindre une plus grande autonomie. Le lien avec l’extractivisme d’Amérique du Sud apparaissait en filigrane, mais la soirée risquait de s’essouffler et de tomber dans une joyeuse cacophonie anecdotique.

Les villes en transition

Pour réussir le fameux « pont » entre les luttes, et lancer la semaine à venir, il fallait finalement revenir à l’esprit du festival, laisser échapper le concept fédérateur de « transition ». C’est Pablo Servigne, de la revue Barricade, qui s’y est attelé. Née d’un ouvrage de Rob Hopkins (Manuel de Transition, 2010 pour l’édition française), la Transition est parvenue, notamment en Belgique, à réunir parents inquiets, éternels militants écologistes, et jeunes étudiants impulsifs. Constatant l’imminence des crises à venir, tous ont adopté ce qu’Hopkins envisageait : une réponse locale, concrète et inclusive, pour améliorer la résilience de nos sociétés. Une anticipation collective qui repose sur la diversification des solutions ainsi que sur de forts liens sociaux.

Alors que la Décroissance, accolée d’une image caricaturale, a fini par créer de nombreuses tensions, la Transition est un mot neutre, facilement appropriable et résolument apolitique. Ce désir de concertation et de conciliation lui a bien valu quelques légitimes reproches : comment agir concrètement sans vouloir dénoncer les inégalités sociales ? Sans s’indigner contre les pratiques financières ? « En se tournant entièrement vers l’action pragmatique, positive et non dénonciatrice », répond Pablo Servigne. Un concept alliant réflexion, engagement et mise en pratique, réunissant des individus aux sensibilités et modes de vie parfois complètement différents.

Les propositions ? Elles seront exposées plus longuement pendant les 10 jours du festival . Mais en cette rencontre d’ouverture, l’objectif était atteint, le « pont » construit, et la salle déjà engagée dans sa traversée. Car ce qui compte, in fine, au-delà de la forme revêtue par les initiatives, ce sont les hommes qui les ont mis en place, leur quête d’une plus grande solidarité, leur ras-le-bol de l’isolement et de la passivité, et la joie de vivre qui ressort d’une action collective. Un bol d’air frais et d’enthousiasme à conseiller à tous. Le fourmillement des idées citoyennes de notre rue est montré à la loupe pendant 2 semaines : profitons-en !

Source : Reporterre

Photo : Festival des utopies concrètes

Programme : Festival des Utopies concrètes

L’écologisme radical des Villes en Transition

L’écologisme radical des Villes en Transition

 

Il ne faut pas voir la critique du mouvement des Villes en Transition comme le fait d’une officine militante grégaire qui se perdrait dans des conflits de groupuscules. Ce qui n’aurait que peu d’intérêt. Mais comme la critique de cet enfer vert que mettent en place les élites techniciennes et politiques, poussé ici dans son expression radicale : l’alliance d’un contrôle bureaucratique de nos comportements et d’une responsabilisation individuelle pour faire face aux catastrophes écologiques. Leurs promoteurs appellent ça « l’émancipation sous contrainte ». Même pas peur.

 

Le site internet transitionfrance.fr revendique une cinquantaine de groupes locaux en France regroupés pour la première fois en juin 2011 lors d’une Fête de la Transition. L’idée leur est venue des Transition Towns apparues en Grande Bretagne en 2005 autour d’un professeur de permaculture, Rob Hopkins, auteur d’un Transiton Handbook, et traduit en français sous le titre Manuel de Transition. Leur raison d’être réside exclusivement dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’imminence du « pic pétrolier » et la fin du pétrole bon marché. Du

fait de notre « dépendance au pétrole », nos modes de vie, de déplacement, d’alimentation, de soins, de communication vont être profondément ébranlés. Les citoyens des Villes en transition s’y préparent et comptent sur notre capacité de « résilience ».

 

Un mode de vie comme programme politique

 

Le premier échelon du « changement » est celui de l’individu. Il faut d’abord se changer soi pour changer la société. Rengaine mille fois entendue. A la manière des adeptes de la « déconstruction » des rapports sociaux qui s’attaquent aux « représentations » mentales, à la « subjectivité » des uns et des autres, aux « normes » culturelles « diffuses » en chacun de nous, ils individualisent la critique écologique jusqu’à faire de la psychologie un terrain militant. Il s’agit tout autant de prévenir un éventuel « syndrome de stress post-pétrole »1 que de distiller les bons comportements qui vont changer le monde. « Reconnaître que nous avons une dépendance au pétrole peut nous aider à comprendre pourquoi nous avons tant de mal à nous sevrer de nos habitudes, tout en nous indiquant les stratégies, inspirées du domaine de l’addiction, qui peuvent nous aider à avancer » annonce une psychologue spécialiste de l’addiction aux drogues sur le site des villes en transition. Ce n’est pas une blague2.

 

Nous serions malades. Et il faut nous soigner. « L’idée de résilience a été utilisée dans de nombreux domaines, par exemple en psychologie pour désigner la capacité d’un individu à surmonter un traumatisme, en écologie pour décrire la capacité d’un écosystème à intégrer une espèce invasive, etc. Ici, le choc est évidemment le pic pétrolier »3. Comme de vulgaires coachs ou autres life designers, les promoteurs de la transition s’inspirent de la pensée positive et des théories comportementales du changement pour inciter les addicts au pétrole à prendre moins leur voiture ou à manger local. Ils ne voient pas que la société techno-industrielle fait système ; que nous sommes obligés de prendre notre voiture pour aller travailler ; que l’on est presque contraint de consommer des produits qui ont fait le tour de la Terre jusqu’au Carrefour du coin plutôt que des produits locaux à la Biocoop de l’autre bout de la ville.

 

Le principal ouvrage de référence des transitioners n’est rien moins qu’un Manuel de Transition. Il n’y a plus qu’à suivre les bons conseils de Rob Hopkins et de ses adeptes. Ça peut être des jardins partagés, des AMAP, des réseaux d’échanges de savoirs, de l’éco-construction, de l’élevage familial ; bref, des expériences probablement réjouissantes pour celles et ceux qui les vivent mais à quoi l’on confère une valeur d’exemple qui aurait des conséquences politiques. Aussi délicieuse que puisse être une confiture maison, on se demande comment elle est susceptible de précipiter un instant la chute de la société « thermo-industrielle ». En plus d’être indigente, cette force de changement depuis l’individu révèle une posture moraliste proche de la curetonnerie (leurs appels répétés à la sobriété feraient bondir le frugal Vaneigem) et de l’avènement d’un Homme nouveau. Plutôt que de s’attaquer aux responsables du saccage planétaire que sont les industriels, les militaires, les chercheurs et leurs élus du peuple, il n’y aurait qu’à adopter un mode de vie relocalisé. De toute façon, « le mouvement ne se définit pas comme un mouvement anticapitaliste. […] La Transition ne s’interdit pas d’être anticapitaliste, mais elle ne se l’impose pas non plus. »4 Leur transition sera douce et sans conflits. Reste à prendre son bâton de pèlerin pour « conscientiser » son prochain sur les « bonnes pratiques » à adopter en urgence.

 

L’émancipation sous contrainte administrative

 

Assez de blabla. Face à l’imminence de la catastrophe écologique planétaire, d’après les transitioners, il est urgent d’agir. Les seules questions valables sont « Quand » et « Comment » les autorités mettront en place le rationnement carbone de la population. Et donc le pilotage de nos comportements vers la baisse tendancielle de nos rejets de gaz à effet de serre. En mai 2010, la revue écolo Silence a accordé pas moins de douze pages intitulées « Villes en Transition vers le rationnement »5. Douze pages de simplicité autoritaire avec le concours d’un éminent catastrophiste, l’austère député européen Yves Cochet. Les auteurs relèvent que parmi les transitioners anglais, « des groupes d’activistes nommés CRAGs (Carbon Rationing Action Groups, groupes d’action pour le rationnement du carbone) ont tenté depuis 2005 de s’appliquer à eux-mêmes un rationnement de ce type, pour réclamer sa généralisation à l’ensemble de la population britannique. » Trois craggers ont d’ailleurs remporté en 2008 le concours Oxfam des britanniques qui ont l’empreinte carbone la plus basse. Bravo. Ils sont des exemples de docilité écocitoyenne.

 

Antilibéraux, les transitioners veulent mettre fin à cette main invisible du marché qui (dé)régulerait aujourd’hui la société – comme si la puissance publique avait disparu de l’aménagement des territoires, de la gestion des ressources naturelles, du soutien financier aux industriels et à la recherche, etc. À l’administration publique, donc, de calculer et planifier nos comportements carbonés. Comment imaginent-ils concrètement le rationnement ? « Les quotas de chaque individu seraient enregistrés sur une carte électronique personnelle – la carte carbone – d’où ils seraient débités lors de tout achat d’énergie primaire : facture d’électricité, de chauffage, essence à la pompe et billets d’avion ». À partir de là, on peut imaginer que chaque achat, chaque kilomètre parcouru puisse être comptabilisé et contrôlé par la future bureaucratie verte. En plus de nous sauver de la terreur climatique, la carte carbone serait un outil de justice sociale pour période de pénurie. « Le rationnement permettrait de limiter les émissions de gaz à effet de serre des plus riches, qui sont aussi les plus pollueurs. » Ce serait une tautologie de dire que le rationnement est par définition l’inverse de la démocratie en ce qu’il confie nos vies à la discrétion des planificateurs, élus, fonctionnaires et statisticiens. Mais selon eux, il « a été l’un des principaux instruments grâce auxquels la démocratie a pu s’organiser pour traverser la tourmente de la guerre. » Voilà tout l’imaginaire politique qu’ils ont à offrir. Les files d’attente, les tickets de rationnement et le marché noir pendant la deuxième guerre mondiale.

 

Une gestion autoritaire et quantitative de nos besoins par les responsables de la pénurie qui vient. Comment peut-il en être autrement quand leurs « propositions concrètes » se font au nom de l’appréciation statistique de ce qui fait la vie ? Kilomètres parcourus, tonnes de CO2, taux de particules dans l’air, etc. En 1980, dans Le Feu vert, Bernard Charbonneau notait déjà : « La mise en concept de l’indicible naturel ou humain le fige en élément statistique ou juridique stockable et administrable. » Ainsi gère-t-on la nature et ses habitants comme des stocks et des flux. Et les écologistes ne dérogent pas à la règle. Au contraire. Le mot-même de « décroissance » indique qu’elle n’est qu’un miroir de la croissance quantitative. Parmi les douze étapes d’un projet de transition, les transitioners sont invités à calculer l’empreinte écologique de leur territoire, les pourcentages d’aliments, de médicaments ou de matériaux de construction produits localement6. Les Villes en Transition sont une écologie radicale en ce qu’elles sont quantitativement plus radicales que l’écolo-technocratie au pouvoir. Pas deux voitures, ni une voiture, mais pas de voiture du tout. Et vous verrez qu’ils inventeront un

indicateur du Bonheur Intérieur Brut pour objectiver statistiquement notre « qualité de vie ». Si le diktat de la mise en chiffres du monde appauvrit nos paysages naturels et imaginaires, qu’il appesantit nos rêves, c’est peut être au nom de cette aliénation sensible, et non d’une série de calculs quelconques, que nous saurons dégager un horizon réellement révolutionnaire.

http://hors-sol.herbesfolles.org/wp-content/uploads/Lécologisme-radical-des-villes-en-transition.pdf

Tomjo

 

Texte paru dans la revue Offensive, septembre 2012

1 villesentransition.net

2 Ibid.

3 Luc Semal et Mathilde Szuba, « Villes en transition : imaginer des relocalisations en urgence », revue Mouvements n°63, mars 2010.

4 « Villes en transition : imaginer des relocalisations en urgence », op. cit.

5 Toujours par Luc Semal et Mathilde Szuba

6 villesentransition.net

En Alsace, un laboratoire de l’après-pétrole

En Alsace, un laboratoire de l’après-pétrole (Le Monde)

 
http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/01/02/en-alsace-un-laboratoire-de-l-apres-petrole_1812011_3244.html

édition du 3 janvier 2013 – Centrale solaire, filière bio, lien social… Ungersheim multiplie les projets fondés sur l’écologie et l’économie solidaire
Ungersheim (Haut-Rhin) Envoyé spécial

Au pied du terril végétalisé de l’ancienne mine Marie- Louise, face au chevalement en ruine du puits Rodolphe – un des derniers grands vestiges de l’épopée de la potasse -, se dresse, à Ungersheim (Haut-Rhin), la plus grande centrale solaire d’Alsace. D’une puissance de 2,2 mégawatts (MW), Helioparc 68 a été mise en service le 27 décembre 2012.  » Sa production est équivalente à la consommation énergétique de 800 foyers « , explique Jean-Claude Mensch, maire depuis 1989 de ce village de près de 2 000 habitants.

La ministre de l’écologie, Delphine Batho, l’a rappelé le 31 décembre : 2013 sera  » l’année de la transition énergétique « , visant à réduire la dépendance du pays à l’égard du pétrole et du nucléaire. Mais si le débat doit se poursuivre pendant des mois, à Ungersheim, village  » en transition « , on prépare déjà l’après-pétrole.

Ancien mineur délégué CGT de 66 ans reconverti à l’écologie, M. Mensch est  » l’initiateur, le facilitateur et l’accompagnateur  » de cette revitalisation d’une friche industrielle. Lassé par les discours sans suite des politiques, il a mené ce projet, avec son collègue du village voisin,  » au nez et à la barbe «  de la communauté de communes de l’agglomération de Mulhouse.

Exploitée par une petite entreprise qui verse un loyer à la commune, la centrale solaire fait partie des  » 21 actions pour le XXIe siècle  » engagées depuis 2008  » pour le développement d’une économie locale et fraternelle « . Cette démarche en faveur d’un  » développement soutenable «  conjuguant l’économie, l’écologie et le lien social a été élaborée lors des réunions du conseil participatif regroupant des élus et des habitants de la commune.

Connu en Alsace comme lieu d’implantation d’un écomusée en plein air de l’habitat rural et du Bioscope, un parc de loisirs consacré à l’environnement qui a fait faillite, Ungersheim s’affiche désormais comme un village écolo.  » Cela ne se voit pas sur les toits des maisons « , reconnaît le maire. Pas encore. Mais il y aura des panneaux solaires sur les trente maisons de l’éco-hameau, un projet de quartier innovant,  » ni bobo ni ghetto « . Dans ce lotissement, construit en autopromotion, la voiture sera proscrite et les jardins partagés. Il sera raccordé à la chaufferie à bois qui alimente déjà sept bâtiments communaux.

La piscine municipale est chauffée grâce à des panneaux solaires, l’installation d’un éclairage public moins énergivore a permis de faire des économies. Et la commune vient de reprendre le contrôle de la distribution et de l’assainissement de l’eau.  » Notre tarif est maintenant inférieur de 5 % à 20 % à celui des communes affermées à un groupe « , se félicite le maire

Pour avancer vers l’autonomie énergétique, M. Mensch veut faire construire une centrale à biomasse pour la production de méthane à partir de déchets agricoles et forestiers.  » Nous ne cherchons pas à devenir un village autarcique, replié sur lui-même, mais à aller vers un autre mode de vie. « 

Cela passe aussi par l’autonomie alimentaire, l’autre cheval de bataille de Jean-Claude Mensch. Se servant des leviers que possède un maire, notamment la maîtrise foncière, il a acheté un champ de céréales de 8 hectares pour le mettre à disposition d’une association de réinsertion employant 30 personnes, les Jardins du Trèfle rouge, une exploitation maraîchère bio qui alimente la cantine scolaire et fournit des paniers de légumes en circuit court.

Cette filière bio va être développée avec la construction d’une ferme alsacienne consacrée au maraîchage. Elle sera le siège d’une coopérative d’intérêt collectif et abritera une conserverie pour les légumes en surplus, une microbrasserie et un centre de formation. Jean-Claude Mensch veut ainsi dynamiser l’économie locale. Il a quitté les Verts, ses compagnons de route, qu’il juge  » jusqu’au-boutistes « .  » On ne peut pas parler de la biodiversité à une population en difficulté économique. Il faut d’abord s’occuper des gens « , estime-t-il.

Une bonne partie de la population reste circonspecte ou récalcitrante face aux projets du maire. Ainsi, la boulangerie installée en face de la mairie ne s’est pas convertie au bio.  » C’est trop compliqué et il n’y a pas de demande « , affirme la patronne. Elle n’utilisera pas non plus la monnaie locale, que le maire veut lancer l’année prochaine pour favoriser les produits et les emplois de proximité.

Bastion rouge pendant l’exploitation des mines, Ungersheim vote désormais à droite, comme presque partout en Alsace. Sauf aux municipales. En 2008, le maire, officiellement sans étiquette, a été réélu massivement pour un quatrième mandat.

La transition en marche à Ungersheim est incarnée par Richelieu, le cheval de trait dont l’attelage a remplacé le minibus scolaire à la pause de midi. Richelieu est devenu le personnage le plus célèbre d’Ungersheim – après le maire, surnommé  » le Robert Redford du bassin potassique « .


En Alsace, un village « en transition » prépare l’après-pétrole

 

Publié le 12 décembre 2012. dans le 20 Minutes

 

http://www.20minutes.fr/article/1062737/alsace-village-en-transition-prepare-apres-petrole

Chaufferie à bois, panneaux solaires, cantine « 100% bio » et espaces verts sans pesticides: le village d’Ungersheim (Haut-Rhin), « en transition » vers l’autonomie énergétique et alimentaire, fonctionne au quotidien comme un laboratoire de l’après-pétrole.

Lassé par « l’inertie et les beaux discours » des politiques, le maire de cette commune de 2.000 âmes proche de Mulhouse multiplie les projets écologiques.

« Un maire peut avoir beaucoup de leviers dans la contribution pratique », relève Jean-Claude Mensch, qui dirige sa commune depuis 1989. « Le fait de passer à la transition, ça évite de trop parler d’écologie ».

Sous l’impulsion de ce mineur retraité de 66 ans, fidèle compagnon de route des Verts mais élu sans étiquette, Ungersheim a entamé sa « reconversion » au début des années 2000 en faisant la chasse aux énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon).

Désormais, l’éclairage public est moins énergivore, la piscine municipale est chauffée par des panneaux solaires et plusieurs bâtiments municipaux sont alimentés par une chaufferie à bois.

Le recours à la biomasse ayant fait ses preuves, la mairie envisage maintenant de relier cette chaudière à un futur lotissement voisin, pour avancer un peu plus vers l’autonomie.

Autre mesure forte, le désherbage des espaces verts, du cimetière ou encore du terrain de foot se fait sans pesticides. « On fait tout à la main! », s’amuse David, un des employés communaux.

En plus des espaces verts, le jeune homme est affecté à une mission bien spéciale: c’est lui qui, tous les midis, assure une partie du ramassage scolaire… en calèche.

En 2008, le conseil municipal s’est offert un cheval, « Richelieu », et du matériel d’attelage, pour quelque 20.000 euros. L’objectif: assurer la desserte du midi pour une vingtaine d’enfants vivant loin du centre-ville, dont les parents sont les plus susceptibles de prendre leur voiture.

« On change de trajet tous les jours pour faire plaisir à tout le monde, les enfants sont ravis », raconte David, tandis que les écoliers viennent caresser Richelieu.

Devenu la coqueluche du voisinage, l’étalon assiste également les employés communaux pour l’élagage et les travaux d’arrosage. Parfois, la commune le prête aussi aux « Jardins du Trèfle Rouge », une exploitation maraîchère « bio » à la sortie du village.

L’autre cheval de bataille d’Ungersheim est en effet d’offrir une « alimentation saine pour tous », via l’agriculture biologique.

Pour y parvenir, la mairie a racheté un terrain de 8 hectares et l’a mis à disposition d’une association employant une trentaine d’ouvriers maraîchers en réinsertion.

Les légumes sortis du Trèfle Rouge atterrissent tout droit dans les assiettes de la cantine, offrant aux enfants une alimentation 100% bio. « Goûter inclus! », précise le maire avec fierté.

Une bonne partie de la population reste cependant circonspecte face à un tel dynamisme. « Leur soutien n’est pas toujours évident, ils sont parfois un peu récalcitrants », admet le président d’une association locale, Serge Heckmann. « Mais si on ne prend pas d’initiatives, personne ne le fera ».

Ce volontarisme politique s’est traduit par l’implantation à Ungersheim de la plus grande centrale solaire d’Alsace (40.000 m2), dont la mise en service est prévue le 31 décembre.

Après avoir racheté une friche industrielle de 6 ha, la ville a lancé un appel d’offres pour y attirer un entrepreneur spécialisé dans le photovoltaïque.

Une société basée à Mulhouse va transférer son siège social à Ungersheim, payer un loyer à la ville et vendra au réseau ERDF « une production équivalant à la consommation énergétique de 800 foyers », selon M. Mensch.

Ce maire hyperactif a encore des projets plein la tête. Tandis qu’il réfléchit à la création d’une unité de méthanisation, pour assurer une réelle autonomie énergétique, il tente d’attirer de futurs habitants avec la mise en place d’un éco-hameau constitué de « maisons passives » (qui ne consomment que l’énergie produite localement).

Les limites du mouvement

INITIATIVES DE TRANSITION – LES LIMITES DU MOUVEMENT

Par Simon De Muynck

LES INITIATIVES DE TRANSITION FLEURISSENT PARTOUT DANS LE MONDE. LEUR VISION POSITIVE ET LEUR ENTHOUSIASME ENVAHISSENT LES DISCOURS ET LES ESPRITS. MAIS RARES SONT LES CRITIQUES OUVERTES ET EXPLICITES. LOIN DE VOULOIR DÉFORCER LE MOUVEMENT, CET ARTICLE S’EMPLOIE À EN FAIRE LA CRITIQUE, AFIN D’EN DÉCELER LES LIMITES ET FAIBLESSES POTENTIELLES, DANS UNE OPTIQUE CONSTRUCTIVE.

 

« Le savant n’est pas l’homme qui fournit les vraies réponses ; c’est celui qui pose les vraies questions » Claude Lévi-Strauss

Le mouvement des villes ou initiatives de Transition s’étend comme une traînée de poudre à travers le monde depuis sa création aux alentours de l’année 2006. Fin 2011, on compte 382 initiatives officielles (official, c’est-à-dire qui ont reçu l’aval du Network) et 458 initiatives démarrées (muller, qui postulent pour avoir le label officiel), sans compter les initiatives naissantes…

En Belgique francophone, l’année 2011 a été celle du lancement de la Transition grâce à la traduction en français du Manuel de Transition (Rob Hopkins, Éditions Écosociété/Silence) à la fin de l’année 2010. Plusieurs initiatives se sont ainsi constituées, un réseau s’est structuré et les premiers évènements ont rassemblé plusieurs centaines de personnes. L’enthousiasme, palpable, est dû à de nombreux facteurs qu’il convient d’encourager.

Un mouvement bien « reproductible »

Le mouvement de la Transition s’appuie sur plusieurs éléments-clés, qui garantissent sans doute sa pérennité à court et peut-être à moyen termes. La permaculture est utilisée comme « fondement éthique qui étaye le Mouvement pour la transition » et la base idéologique de la Transition. Le livre fondateur du mouvement, le Manuel de Transition et les écrits connexes précisent le discours théorique de la transition.

De façon pertinente, le mouvement vise à conscientiser les citoyens à propos de la nécessité de diminuer nos consommations énergétiques et d’agir collectivement pour prendre à bras le corps le double problème incontournable de la dépendance au pétrole et du changement climatique. Le mouvement manie des concepts jusque-là peu utilisés comme la résilience territoriale, définie comme la « capacité d’un système à absorber les perturbations et à se réorganiser tout en subissant un changement, pour finalement conserver l’essentiel des fonctions, structure, identité et rétroactions ».

Les acteurs des initiatives de Transition recherchent un mode de vie nouveau, relocalisé, inspiré du passé (mais sans en faire l’apologie) et tourné vers l’avenir, au travers de visions prospectives qui mobilisent l’imaginaire et fixent notamment – autre nouveauté – des Plans d’action de descente énergétique (PADE).

La démarche de la Transition est singulièrement positive, ce qui favoriserait l’inclusion de nombreux acteurs, et les fondateurs du mouvement font pour cela appel à des modèles de psychologie du changement. Rob Hopkins compare en effet la situation d’un citoyen occidental à celle d’un individu victime d’une addiction. Il a donc institué la création de groupes au sein desquels les citoyens ont la possibilité d’exprimer leurs craintes par rapport au changement sociétal annoncé. Ils peuvent également mettre des mots sur leur vision du futur, ce qui est censé les préparer efficacement à l’action réelle, au travers de comportements en faveur de l’environnement.

Par ailleurs, l’approche open space et les outils de facilitation que les initiatives utilisent et qui visent à augmenter l’efficacité des réunions, constitue un autre argument en faveur de la très bonne reproductibilité du mouvement.

Enfin, le mouvement de la Transition s’est très vite renforcé autour d’un réseau très performant qui inspire, relie, encourage, soutient et entraîne les collectivités engagées dans le mouvement. Le réseau fournit des outils (cartes, graphiques, schémas utilisés lors des présentations, etc.), organise des évènements, des conférences, des formations, définit formellement les objectifs et principes, met en place un forum, une radio et soutient différents médias.

Alors, quelles critiques est-il permis d’adresser à l’encontre d’un mouvement qui pose comme incontournables deux des enjeux probablement les plus pertinents de notre siècle (le pic de pétrole et le réchauffement climatique), fait participer les citoyens à la réflexion et à l’action en misant sur leur génie collectif, utilise un discours inclusif, et s’est constitué un réseau extrêmement performant, le tout en un temps record ?

Limite 1 : un public restreint ?

Comme le rappelle Takis Fotopoulos, « le grand problème d’une politique d’émancipation, c’est de trouver comment unir tous les groupes sociaux qui forment la base potentielle du nouveau sujet de la libération, comment les rassembler autour d’une vision commune du monde, d’un paradigme commun[…] ».

Or, les préoccupations environnementales, et plus rarement sociales, du mouvement des initiatives de Transition constituent des sujets parfois mal compris ou peu intégrés par le citoyen lambda. Rob Hopkins l’a d’ailleurs bien compris puisqu’il tente de conscientiser de façon profonde les citoyens intéressés par le mouvement.

Néanmoins, la construction du discours du mouvement des initiatives de Transition relève d’un contexte culturel, géographique et idéologique très particulier. Par exemple, Gill Seyfang a analysé le public engagé dans les initiatives de Norwich et en a montré le caractère assez peu commun : une population post-matérialiste travaillant davantage à temps partiel et plus diplômée que la moyenne de la population, qui évite les statuts élevés d’emplois et de consommation en faveur de l’épanouissement et de l’activisme à dimension environnementale principalement. Reste à savoir si ces personnes présentaient ce profil avant d’intégrer le mouvement, ou si c’est celui-ci les a transformées…

Par ailleurs, une autre étude de 2009 portant sur 33 initiatives officielles à travers le monde a permis de dresser un profil-type d’une initiative : une petite ville (ou sa banlieue) de moins de 10 000 habitants de classe moyenne, qui abrite des citoyens et des élus politiques sensibilisés aux enjeux écologiques, qui recèle un passé historique relatif à ces questions ou qui fait que la ville est plus sensible aux questions traitées par le discours du mouvement. Il est interpellant de noter que Totnes, berceau historique du mouvement, est une ville de 7 700 habitants impliquée dans le développement d’activités économiques durables, accueillant l’université alternative Schumacher College et abritant une communauté alternative new age … Profil peu courant !

Paul Hatterton et Alice Cutler s’inscrivent dans ce même raisonnement lorsqu’ils expriment leurs craintes quant au caractère élitiste des personnes instigatrices du mouvement. Alex Haxeltine et Gill Seyfang, quant à eux, recommandent au mouvement de développer son réseau en dehors de ce qu’ils appellent la « niche sociotechnique » afin de tisser des liens avec les acteurs principaux de différents niveaux, tels que les « compagnies de bus, promoteurs, supermarchés », etc. En effet, cela permettrait non seulement au mouvement d’élargir son audience mais aussi de dénicher des moyens qui pourraient venir soutenir ses activités. À ce jour en Belgique, aucune initiative n’a réalisé une telle inclusion d’acteurs. Mais peut-être est-il trop tôt pour espérer constater pareil accomplissement…de tendance plutôt de gauche. Il fait suite au matérialisme au sens de « ce qui est nécessaire au plan matériel, pour assurer la satisfaction des besoins physiques et élémentaires », Etienne Schweisguth, « Le post-matérialisme revisité : R. Inglehart persiste et signe », Persée, 1997, p.654, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article rfsp_0035-

Limite 2 : le financement structurel et permanent

Côté budget, les initiatives sont fragiles. L’analyse des 33 initiatives officielles de Transition a montré que 58 % d’entre elles avaient demandé de l’aide (soutien financier, logistique ou matériel) à leur autorité locale, et parmi celles-ci, 40 % en avaient reçue une. Notons que la plupart des aides financières sont assez faibles (entre 250 et 6 000 euros – si l’on excepte les deux sommes plus conséquentes provenant de fonds financés par les gouvernements anglais et écossais), et ne constituent donc que des aides dérisoires au regard des enjeux. Par ailleurs, aucune aide financière recensée parmi les 33 interviews réalisées dans cette étude ne constitue un appui financier permanent et structurel. Or, il est évident que ces moyens matériels et financiers sont une des conditions indispensables à la pérennité d’un tel mouvement à long terme.

De son côté, Tim Jackson, un autre théoricien de la Transition, évoque les réelles potentialités du soutien des collectivités locales, mais souligne surtout l’importance d’un puissant appui des gouvernements dans l’encouragement des comportements pro-environnementaux. L’institutionnalisation insuffisante (et donc le financement non-structurel et non-permanent) du mouvement de la Transition pourrait constituer une des limites du mouvement à long terme. Vouloir garder la main sur les affaires de la Transition est une chose. Refuser toute contribution financière de la part des autorités par peur d’une récupération en est une autre. L’affaire n’est pas simple, car les initiatives ne refusent pas d’aide financière des entreprises privées, pour autant qu’elles participent au mouvement de relocalisation de l’économie. À suivre donc…

Limite 3 : la sous-estimation du rôle des gouvernements

C’est du vécu concret des citoyens que procèdent les attentes des possibles.  Takis Fotopoulos

Il ne faut pas non plus caricaturer : si Rob Hopkins insiste sur l’importance d’une dynamique citoyenne locale en faveur du changement, il souligne aussi le fait que des mécanismes nationaux et internationaux devront impérativement être mis en place. À l’échelle internationale, il faudra des protocoles internationaux forts sur le changement climatique, l’application du scénario de contraction et convergence, un moratoire sur la production de biocarburants, un protocole sur l’épuisement des ressources pétrolières, le « repensement » de la croissance économique et la protection de la biodiversité, etc. Mais il fau­dra également faire bouger les choses à l’échelle nationale. Nous aurons besoin d’une législation forte sur le changement climatique, des quotas d’émissions carbones personnalisés, d’une stratégie nationale sur la sécurité alimentaire et de la dévolution de pouvoirs aux collectivités locales.

Face à ces défis colossaux, on se demande comment les initiatives de Transi­tion vont bien pouvoir agir… car il leur faut d’abord régler au niveau local les nombreux problèmes d’application de certains de ces mécanismes globaux.

Rob Hopkins postule (et parie) que l’impulsion du changement doit venir du bas, du citoyen, des collectivités locales, et que celles-ci fourniront un cadre dynamique et créateur pour les initiatives à un niveau supérieur, c’est-à-dire gouvernemental ou au-delà. Il pense que « les réponses nationales et internationales sont plus probables dans un environnement où les réponses des collectivités locales sont nombreuses et enthousiastes». Ainsi, selon lui, le mouvement devra générer des forces de changement ascendantes, depuis les groupes de citoyens, vers les entreprises, les organisations et enfin les institutions gouvernementales.

La Sustainable Development Commission (SDC) a formulé une série de recommandations au gouvernement britannique à propos de la relocalisation d’infrastructures, pour prendre à bras le corps le changement climatique et augmenter la résilience des collectivités territoriales. Celles-ci impliquent pour la plupart des efforts du gouvernement qui devrait notamment investir dans l’amélioration des infrastructures locales du secteur public. Mais ces investissements proviendront très probablement de décisions politiques venues « d’en haut ». Tim Jackson, commissaire économique de la SDC, confirme la nécessité d’un immense financement provenant des structures étatiques.

Cette constatation laisse à penser que la relocalisation de tous les systèmes sociotechniques et de tous les pans de la société – infrastructures, mais aussi agriculture, transports, économie etc. – nécessitera des investissements à l’échelle nationale et internationale dont le niveau de prise de décision semble très éloigné du mouvement des initiatives de Transition, certes en pleine expansion mais très peu impliqué dans les rouages gouvernementaux. Face à de tels enjeux, il paraît donc difficile de faire l’économie d’une action des Etats. Les changements devront à l’avenir être significatifs au niveau des pratiques mais aussi et surtout au niveau des « politiques [et des] institutions ».

La question de l’échelle du changement est donc fondamentale : si c’est à l’échelle locale qu’on enregistre le plus d’initiatives, de mobilisations et d’avancées en matière d’environnement, les changements en faveur de l’environnement à l’échelle globale restent limités.

Dès lors, si la thèse de Rob Hopkins ne semble pas fausse, elle surestime probablement la capacité de changement de la dynamique citoyenne du mouvement, aussi entreprenante soit-elle.

Pire, les institutions nationales ou internationales peuvent très bien être des obstacles à la relocalisation de l’économie ! La relocalisation des systèmes de production et de consommation, par exemple, est perçue comme subversive par certains, voire proscrite par les lois de l’Organisation mondiale du com­merce (OMC) ou contraire à la politique économique de l’Union européenne, basée sur la libre circulation des biens. Il est donc d’autant plus important d’agir pour que ces leviers institutionnels soient du côté de la Transition.

Limite 4 : la simplification outrancière des leviers de changements comportementaux

Le mouvement des initiatives de Transition utilise des méthodes de psychologie du changement pour susciter des réactions collectives innovantes et positives face aux conséquences effrayantes d’un avenir marqué par le pic pétrolier et le changement climatique. L’objectif est d’éviter les réactions primaires habituellement constatées, comme le déni, la foi en des solutions irréalistes (ou scientifiques), la peur sclérosante, la tentation du survivalisme ou l’optimisme outrancier. C’est une vraie originalité du mouvement.

Rob Hopkins fait appel au Transtheoretical Change Model (TTM) de Carlo DiClemente, qui postule que « le processus de changement par lequel un individu entre et sort d’une addiction est le même que bon nombre de processus de changements » (y compris les changements comportementaux donc). En d’autres termes, nous serions devenus « accros » au pétrole bon marché, et modifier nos comportements liés à cet état nécessiterait de faire appel à des modèles de changements comportementaux issus de travaux portant sur l’addiction !

Selon, ce modèle TTM, le changement serait progressif et passerait par diverses étapes :

  1. La précontemplation, qui est la reconnaissance de la nécessité de changer ;
  2. La contemplation qui désigne l’évaluation des facteurs en faveur et en défaveur du changement en visant à augmenter les facteurs en faveur de celui-ci ;
  3. La préparation qui indique la planification du changement et l’exercice de la capacité à répondre au problème ;
  4. L’action qui évoque la mise en œuvre du changement en fonction des étapes précitées, et ;
  5. La consolidation qui signifie l’intégration du changement dans la vie quotidienne de sorte qu’il se maintienne à plus long terme, afin d’éviter tout risque de rechute.

De plus en plus de gens auraient atteint l’étape [1] de la reconnaissance de la nécessité de changer (précontemplation). La phase [2] de contemplation équivaudrait à imaginer nos futurs sans pétrole avec créativité, entrain et envie. Le TTM est en pratique couplé à une autre modèle (FRAME) et au Motivational Interviewing qui fournissent un espace d’expression pour les personnes qui présentent des contradictions internes et les aident à y voir plus clair à propos de ce qu’ils veulent vraiment, et à penser aux étapes suivantes que sont l’action [4] et la consolidation [5] du changement de comportement.

L’idée de mêler des éléments de psychologie comportementale et des espaces d’expression pour tendre vers des changements comportementaux pro-environnementaux paraît séduisante, voire puissante. Néanmoins, il convient d’évoquer les travaux scientifiques de Tim Jackson (encore lui !) qui portent sur la consommation et les motivations humaines – et conséquemment aussi sur le changement de comportement. Ses travaux, particulièrement imposants, nous enseignent qu’il est « pratiquement impossible de construire des modèles causaux universels avec lesquels on pourrait construire des politiques de changement de comportement dans différents domaines ». En effet, les biens matériels et les services sont enchâssés dans la structure culturelle de nos vies. À travers eux, on satisfait nos besoins, nos désirs, on communique à propos de notre identité ou de notre culture… Dès lors, changer les comportements nécessite d’agir sur tous les volets (psychologiques, sociaux, normatifs, …) qui leur sont associés. C’est une tâche immense et tellement complexe, que se servir d’un seul modèle de psychologie du changement (parmi des dizaines) semble quelque peu simplificateur.

En outre, il y a selon lui jusqu’à présent un manque de preuves empiriques démontrant que ces processus partant des collectivités locales puissent atteindre les niveaux de changements de comportements nécessaires pour rencontrer les objectifs environnementaux et sociaux. On ne sait pas encore à l’heure actuelle « quelles formes ces initiatives doivent prendre, comment elles doivent être soutenues, quelle forme devrait prendre la relation avec le gouvernement pour que celle-ci soit la plus efficace […] et quels types de ressources ces initiatives requièrent […] ».

Mais si Tim Jackson met là un bémol, il n’en est pas pour autant défaitiste. Il évoque les processus citoyens (partant de la base) participatifs comme pouvant selon lui constituer des voies intéressantes dans l’exploration de changements comportementaux pro-environnementaux et pro-sociaux, et insiste également sur la difficulté (et l’importance) de débloquer nos habitudes et d’en créer de nouvelles, tout comme de « comprendre la logique sociale dans laquelle nos comportements de consommation sont enchâssés ». Ainsi, il pense qu’une bonne compréhension du contexte social et institutionnel dans lequel sont insérés ces comportements (de consommation) offre des perspectives intéressantes pour l’innovation politique.

Pour lui, il est aussi essentiel de motiver la consommation soutenable et le changement de comportement qui risquent de rencontrer de nombreuses résistances, en « créant des collectivités solidaires, en promouvant des sociétés inclusives, en fournissant un travail qui donne un sens à la vie, tout comme en conscientisant les gens, et en usant de politique fiscale notamment ».

Limite 5 : des visions prospectives positives aux effets limités?

Rob Hopkins accorde une grande importance à l’exercice de style qui consiste à faire tracer par les citoyens les contours d’une société future « décarbonisée », relocalisée, conviviale et résiliente. L’objectif est d’aider à visualiser un futur désiré au travers de la création de nouveaux mythes, de nouvelles histoires, nouveaux possibles.

Cette sorte de méthode Couet permettrait l’émulsion d’idées collectives. La pensée positive aurait donc le pouvoir de nous faire imaginer, espérer un futur abondant, sobre en énergie, moins stressant, plus heureux et plus prospère. Elle diminuerait le découragement inhérent à la crise protéiforme actuelle.

En plus de cette vision prospective positive, Rob Hopkins a imaginé l’utilisation des Transition Tales (les contes de la transition). Chaque citoyen est invité à y prendre part : activistes, écrivains, journalistes, poètes, artistes… Leur objectif est de coucher sur papier des futurs désirés, d’exalter l’imagination citoyenne, le plus souvent en rédigeant un « journal du futur » décrivant les nouvelles de l’année 2030… Les plans d’action de descente énergétique (PADE) s’inscrivent aussi dans cette idée, bien qu’ils comportent une dimension plus stratégique et surtout plus opérationnelle.

Cette pensée positive tranche avec les positions souvent contestataires d’organismes militants écologistes ou de partisans de la désobéissance civile. Elle valorise les visions, les possibilités de chacun, plus qu’elle ne fustige le système.

Néanmoins, ces exercices comportent certaines limites. Si ceux-ci ont le mérite de préciser les contours d’un futur imaginé sous les traits de la Transition, ils semblent néanmoins trop abstraits, et surtout trop déterminés par le présent, ce qui implique l’omission possible de changements ultérieurs imprévisibles. Si le contenu d’un rêve comporte des idées pertinentes, celles-ci semblent plus appartenir à l’imagination d’un homme qu’à un futur tangible, tant elles nécessitent d’importants changements culturels et sociaux – que le mouvement n’attaque pas frontalement –, de paradigmes inamovibles et de normes sociales immanentes à ceux-ci. Ces visions, si positives soient-elles doivent donc à l’avenir franchir le cap des « robinsonnades » théoriques inopérantes.

Comme « un projet social et politique ne vaut jamais uniquement par l’horizon idéal qu’il décrit, ses conditions de réalisation comptent tout autant, et peut-être plus », Alex Haxeltine et Gill Seyfang recommandent explicitement au mouvement de « fournir des occasions d’action plus tangibles » à un public plus large, de sorte de propager le mouvement de façon plus efficace.

Une piste néanmoins très intéressante

On l’a vu, le mouvement comporte certaines limites. Le profil-type d’une initiative de transition n’est pas très répandu. Les aides en faveur des initiatives ne sont pas structurelles et permanentes. L’inclusion de divers acteurs sociétaux n’est pas encore très aboutie. Les liens avec les politiques ne sont pas encore très performants et les questions de l’échelle d’influence et de la relocalisation ne sont pas encore résolues. La simplification des modèles de psychologie sociale appliqués aux changements de comportement doit peut-être être revue et les conditions de réalisation des initiatives de Transition pourraient être précisées. Malgré tout, le mouvement reste très prometteur.

Prendre conscience des problèmes qu’engendreront ces limites, c’est déjà faire un pas vers leur résolution. Peut-être faut-il simplement laisser du temps au mouvement afin qu’il consolide son expansion, gageant que son discours inclusif et que sa stratégie générale, qui comporte un grand nombre d’atouts, permettra à terme de combler ces lacunes.

Il me semble que les théoriciens et les acteurs du mouvement devront se pencher sur ces problèmes s’ils veulent que le mouvement réponde de façon pertinente et adaptée aux enjeux qu’il affronte et pérennise sa structure, ses actions et sa portée politique.

Mais le temps presse et la Nature n’attend pas. Le mouvement de la Transition saura-t-il se consolider à temps et construire un mouvement citoyen à la portée politique performante ? L’avenir nous le dira.

La transition une utopie concrète

LA TRANSITION UNE UTOPIE CONCRETE

On assiste ces dernières années un peu partout sur la planète à une multiplication d’initiatives et d’expérimentations citoyennes qui se revendiquent de la « transition », le terme faisant même aujourd’hui l’objet d’un recyclage sur un plan plus institutionnel. Le Manuel de la transition de Rob Hopkins, un agronome adepte de la permaculture, publié en France 2010, a donné une certaine visibilité à ces initiatives. S’appuyant sur l’expérience de Totnes au Royaume-Uni, ville de naissance du mouvement des Villes en transition (Transition Towns), l’ouvrage a rapidement commencé à circuler dans les milieux militants, au point de devenir une référence, sans pour autant être élevé au rang de bible absolue. Ceux qui se reconnaissent dans le mot d’ordre de « transition ! », tel que défini par Rob Hopkins, affirment s’inscrire dans un type d’engagement dont le pivot est le passage à l’action sur fond de réenchantement et de réappropriation de l’existence. Les « transitionneurs » font le choix de faire bouger les organisations et institutions existantes sans prendre pied dans ces dernières. Luc Semal définit le Mouvement de la transition « comme un mouvement fondamentalement optimiste et constructif qui suggère que face aux chocs globaux annoncés (climatiques, énergétiques et économiques), les communautés locales reconstruisent en urgence leur résilience locale. Pour cela elles doivent prioritairement relocaliser une part de leur production alimentaire et énergétique [1]. Face à un futur qui sera très probablement sans pétrole, les transitionneurs recourent à la notion de « résilience » en l’appliquant aux villes pour engager une transition voulue, espérée, fêtée et non subie. Cette notion, toujours selon Semal, « désigne la capacité d’un écosystème à encaisser un choc sans s’effondrer et à se réorganiser en se réinventant pour le surmonter [2]..

Passé le moment de la découverte, l’objet pose un certain nombre de questions. Le mot d’ordre, tout d’abord. Pourquoi « transition » ? D’où part-on et où va t on, en combien de temps, et avec qui ? Pourquoi ce mot-là, alors qu’il en existe tant d’autres (décroissance, locavores, slow cities, buen vivir etc.) revendiqués par des mouvements dont les pratiques semblent se rapprocher très fortement de celles mises en œuvre par les « transitionneurs » : insistance sur le « faire », critique des institutions établies et volonté de mettre en place des alternatives ici et maintenant, apparemment sans chercher à « prendre le pouvoir » ni utiliser les outils collectifs de mobilisation que sont les syndicats ou les partis politiques etc. Pourquoi cet apparent refus des luttes, au sens classique ? À quoi bon quelques jardins partagés quand c’est toute l’organisation sociale qu’il faudrait revoir ? Quelle est l’efficacité politique de ces différents mouvements ? Peut-on leur conférer une unité ou sont-ils clairement distincts les uns des autres ?

Ce dossier part d’un constat : ces mouvements se développent et intéressent de plus en plus, mais ne se prêtent guère à une lecture qui serait menée dans le cadre de l’analyse politique classique, en termes de mouvements sociaux. La « transition » est un « OPNI », un objet politique non identifié, comme le suggère Luc Boltanski : « Qu’est-ce que l’auto-organisation sur le plan local ? Il n’y a rien sur des expériences de ce type. Dans les milieux écologico-libertaires beaucoup d’expérimentations se sont notamment développées [3]. Sous le chapeau général de « la transition », Mouvements explore cette unité multiforme, en aspect de « galaxie », terme souvent utilisé pour la qualifier, en référence tant au nombre qu’à la dispersion géographique et pratique de ces initiatives, qui s’intéressent ici aux jardins, là à l’énergie partagée. La transition renvoie-t-elle à la disparition des idéologies ou au réenchantement de la politique, au sens d’une référence à un grand récit, à un sens de l’Histoire ? S’agit-il d’un mouvement narcissique, se refusant au politique parce qu’incapable de se positionner ? Ignorance des clivages politiques ou souci de ne pas s’y laisser enfermer ? Ces mouvements peuvent-ils contribuer à inventer un nouvel imaginaire politique, en partant de la pratique et du concret ? Les acteurs de ce mouvement ou les expérimentations s’en rapprochant le souhaitent-ils eux-mêmes ?

Une manière de répondre à ces questions, consiste peut-être à voir dans ce mouvement protéiforme qu’est la transition quelque chose comme une « utopie concrète », terme d’ailleurs revendiqué par le Festival des utopies concrètes (FUC) qui a réuni plusieurs centaines de militants de la transition, en Île-de-France à l’automne 2012. L’utopie concrète, théorisée par Ernst Bloch, offre une première grille d’intelligibilité, certes approximative, de ce mouvement, apte à prendre en considération son caractère diversifié. Pour l’auteur du Principe espérance, l’esprit utopique est celui du rêve éveillé, qui sait déceler dans le présent les linéaments d’un avenir jeune et frais, harmonieux : « La fonction utopique arrache les affaires de la culture humaine au divan de la simple contemplation : elle découvre de la sorte, à partir des cimes réellement vaincues, la perspective non idéologiquement gauchie du contenu humain de l’espérance [4]. Autrement dit, la fonction utopique est celle qui nous révèle la plasticité du monde, quand la routine et les institutions établies nous répètent jour après jour que « rien d’autre n’est possible » (Tina – There Is No Alternative) – discours parfois porté, bien malgré elles, par les formes institutionnelles de l’engagement politique, partis politiques ou syndicats, qui semblent ainsi condamnés à l’impuissance. Elle nous laisse voir que l’espoir n’est pas vain, puisque ce qui est impossible, dans le monde actuel, peut devenir possible dès à présent. Elle est tout le contraire de « l’utopisme », qui se contente de rêver au lieu d’agir. Elle est cet écart, cet arrêt, voire parfois ce dévoilement soudain, qui nous montrent que d’autres choix sont toujours possibles, ici et maintenant. Nous ne sommes pas condamnés à être ce que les institutions nous destinent à être. En changeant certains aspects de nos vies, nous nous sentons vivants et créateurs. La conscience utopique se distingue du rêve nocturne par son exigence et sa lucidité. Cette nouvelle vie que nous nous choisissons est informée de l’état du monde réel, elle fait face, quand d’autres se contentent de se laisser fossiliser dans le (dés)ordre établi. L’utopie cherche à rendre possible l’impossible et elle sait, par expérience, qu’une telle entreprise peut aboutir. Car l’histoire a toujours procédé ainsi, par l’action de minorités actives, d’abord isolées, qui ont finalement fait basculer les majorités et changé la face du monde. L’utopie, au fond, est « une invocation d’un ordre, à venir ou à faire, contre un désordre présent [5].

L’utopiste, dans ce sens-là, va donc éviter de s’enfermer, au nom du principe d’inclusivité, dans une identité trop reconnaissable (« anticapitaliste », « écologiste » etc.). Il joue la créativité, collectivement, contre l’inertie des assemblages sociaux établis, prisonniers de leur histoire, de leur structure, de leurs cadres idéologiques. D’où la diversité d’étiquettes (transition, décroissance etc.) pour des mouvements similaires, qui ont tous en commun de ne pas pouvoir se référer à des situations facilement agrégeables à grande échelle, à la différence des grèves par exemple. L’enjeu est donc de changer les situations, en ayant conscience de ne pas pouvoir les dépasser complètement, à court terme. C’est en formant des coalitions temporaires ou durables, définies avant tout par des objectifs et des résultats concrets précis (créer un jardin partagé, une Amap, planter des arbres fruitiers, organiser des repas locavores, etc.) que les personnes parviennent à « réenchanter la vie », c’est-à-dire placer la nouveauté, la surprise, l’inédit, l’imprévu au cœur de leurs pratiques quotidiennes. Les transistionneurs agissent en direction d’une nouvelle culture, d’une nouvelle civilité, face à un ordre dominant qui engendre au contraire de plus en plus la violence et le chaos. Une telle démarche ne peut évidemment pas se satisfaire d’un militantisme trop disciplinaire, rythmé par les congrès, grèves, tracts et campagnes électorales, ce qui reviendrait de nouveau à tout attendre des institutions établies, fussent-elles « critiques ». L’enjeu est de renouveler les répertoires d’actions, car il n’est plus possible d’attendre. Le choix de l’étiquette « transition » pour nommer cette galaxie d’initiatives est donc un peu arbitraire, il n’y a pas véritablement de raison de la choisir plutôt qu’une autre, sinon une certaine actualité.

Puisque l’objet social visé a des contours multiples, nous avons voulu, dans l’organisation de ce numéro, commencer par « le terrain ». Après tout, donner la parole aux acteurs, avant d’essayer de conclure quoi que ce soit à leur sujet, peut être une bonne méthode lorsque l’on défriche un mouvement ou un courant social encore trop peu stabilisé. Quel est le contenu de la transition ? Quelles sont les marches à suivre ? Quels sont les résultats visés, d’ailleurs est-ce bien des résultats précis qui sont visés ou plutôt la diffusion de valeurs, d’attitudes, qui sont déclinables en autant d’actions aussi diverses qu’il y a de contextes (ville, campagne, nord, sud, etc.) ? Pour affronter cette diversité et pour coller au mieux aux pratiques, recueillir des témoignages nous a paru la seule manière de proposer une définition sans l’imposer, puisqu’il n’y a pas, aujourd’hui, de formulation théorique qui fasse consensus. Mettre l’accent sur la pratique, c’est de toute façon ce que font les acteurs eux-mêmes, revendiquant souvent dans leurs témoignages la nécessité du do it yourself. Le choix des expérimentations a été intuitif et largement fonction des réseaux auxquels nous avons accès, qui ne font sans doute pas le tour de toutes les expériences possibles mais offrent déjà un large éventail d’actions.

Ainsi Cyrielle Den Hartigh évoque le « faire » de lance de la transition que sont les jardins partagés. Un entretien avec Stéphanie Cabantous nous présente ensuite le mouvement des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) qui depuis plus de dix ans se développe et défend un projet économique et alimentaire à généraliser. « Agir local pour penser global » est le mot d’ordre que l’on retrouve dans les propos échangés à l’occasion d’une table ronde sur les reprises d’entreprises avec François Longérinas et Maxime Quijoux. Enfin, le texte d’Anna Bednik s’intéresse aux luttes extractives et pose la question des limites de la transition.

Un deuxième moment de notre dossier fait le pari que les expériences sont assez nombreuses, et présentent un esprit affinitaire assez affirmé, pour que le risque de la réflexion et de la synthèse soit tenté à leur sujet. Là encore, rien de définitif, seulement des tentatives, des éclairages, des « aventures d’idées ». Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz montrent comment l’enjeu des gaz de schiste conduit les individus à se réapproprier leur avenir énergétique.

Dans une analyse plus large, Christian Jonet et Pablo Servigne, tout en reconnaissant l’originalité de la démarche des villes en transition, en montrent aussi les limites. Vincent Gerber souligne la parenté entre différents types de mouvements revendiquant des étiquettes différentes mais ayant plus ou moins le même contenu (décroissance, transition, municipalisme libertaire, etc.). Il suggère quelques hypothèses concernant la marginalisation du signifiant « socialisme », qui aurait encore convenu il y a quelques décennies. Jérôme Ferret apporte un témoignage éclairant, quant à la nature de ces mouvements, en s’intéressant aux Indignés espagnols. Et si c’étaient moins les mouvements qui manquaient d’efficacité que les lunettes des analystes, dans leur tentative pour les saisir et les conceptualiser ?

Enfin, Fabrice Flipo propose quelques ressources conceptuelles, à trouver chez Jean-Paul Sartre et Serge Moscovici. Poser des actes dans l’espace public, c’est déjà s’engager, c’est être le changement que l’on veut voir advenir dans le monde. Ce simple fait visible de tous a des effets indirects, latéraux, sur la société dans lequel il se produit.

Le rapport aux institutions établies semble plutôt de nature « transductive », pour reprendre un terme utilisé par Simondon : ce que l’on fait, dans ces démarches, n’est pas seulement pour soi mais aussi pour influencer le cours du monde, aussi loin que possible. L’action ne vise pas seulement le résultat immédiat mais indirectement toute conscience qui pourrait être frappée par sa démarche – d’où l’importance d’ailleurs de l’ouverture et l’inclusivité, nul ne saurait être exclu sur la base de ses seules appartenances institutionnelles ou politiques, bien que de toute évidence ce genre de démarche soit animée par des militants qui ne sont pas à la droite de l’échiquier politique.

Cette influence est-elle réelle ? Quelle forme prend-elle ? Est-il juste de parler « d’influence », ou bien plutôt de « filiation » ? Les collectifs sont-ils aussi ouverts qu’ils le prétendent ? N’ont-ils pas tendance à perdre de vue cet objectif et à se refermer sur le localisme ? C’est la troisième partie de ce dossier, qui s’intéresse à la « pollinisation » des politiques publiques, là encore avec le souci de laisser la parole aux acteurs.

L’expérience de l’association Virage-énergie Nord-Pas-de-Calais racontée par Gildas Le Saux nous présente une mobilisation citoyenne portant l’idée de transition énergétique qui a cherché l’influence des politiques publiques. L’article de Joseph Bourez, Lucas Durand, Pascal Mao et Nicolas Senil présente un projet de prospective collaborative en Ardèche : à travers plusieurs scénarios de développement ce sont plusieurs trajectoires du futur énergétique du territoire qui se dessinent et montrent avec humour les conséquences des différents choix. Dans son article Sylvère Angot expose les principes et le fonctionnement de deux politiques publiques « écologiques » – les Agendas 21 et les Plans climat énergie territorial (PCET) – et présente les limites de l’influence citoyenne sur des dispositifs très normés. Enfin, Lydie Laigle s’intéresse aux formes de réappropriation sociale de l’écologie en rappelant la voie de l’empowerment ou tout l’intérêt qu’ont les politiques publiques à s’appuyer sur la capacité d’agir des individus.

Ce dossier nous a permis de nous forger une double conviction : oui, ces mouvements, dont le contour exact reste flou, sont « efficaces », au sens où ils produisent des changements que les autres ne produisent pas, et cela sur des questions – alimentation, agriculture, énergie – tout aussi urgentes que des enjeux plus médiatisés comme les retraites ou le mariage pour tous. De plus, ils agissent de manière latérale et indirecte sur le pouvoir, ne demandant pas une loi ou une modification claire de la législation. Ils cherchent ainsi davantage à diffuser des pratiques et des analyses, sans s’interdire cependant le moment législatif, quand celui-ci sera jugé opportun. Mais ces deux observations ne sont pas une conclusion ; elles invitent plutôt à s’intéresser davantage à ces mouvements.

Bernard Charbonneau et le mouvement Initiatives de Transition

 

Christian Roy

 

Une lecture du Manuel de Transition de Rob Hopkins à la lumière de Bernard Charbonneau
Lancé vers 2005 dans les Îles britanniques comme une réponse applicable localement au défi global du pic pétrolier et du changement climatique, impliquant une décroissance irréversible, le réseau international des Villes et communautés en Transition retrouve et met en application nombre des principes, stratégies et tactiques élaborés tout au long de sa vie par Bernard Charbonneau en vue d’une « révolution immédiate » de nature écologique et personnaliste. Ses écrits à ce sujet sont confrontés ici au Manuel de Transition de Rob Hopkins.
Dans La Planète et le canton, essai paru en 1991 sous le titre imposé par l’éditeur de Sauver nos régions, Écologie et sociétés locales, Bernard Charbonneau écrivait : Ce qui a jusqu’ici manqué au mouvement écologique, c’est moins un but à long terme qu’un chemin pour l’atteindre; il entrevoit vers quoi se diriger, mais voit moins bien comment. S’il sait vers quoi se diriger, trop souvent son programme se réduit à un catalogue de désirs et de rêves, illustré de quelques gadgets verts. Une politique agricole pourrait lui donner ce poids de réalité qui lui manque. Un programme qui n’est pas une affiche de propagande a forcément pour fonction d’assurer la transition : le passage entre le passé et l’avenir; or la politique agricole est précisément le domaine ou il s’opère tout naturellement : la transformation immédiate des pratiques où l’agriculture biologique aurait son mot à dire y est inséparable de la révolution des structures politiques et sociales. (Charbonneau 1991, 184-5)

 

Bien qu’il évite en général le vocabulaire de la révolution, une initiative qui a su canaliser les meilleurs espoirs de transformation sociale du mouvement écologique s’inscrit de fait dans le prolongement d’une politique agricole résolument différente. Le modèle de Transition a été créé par Rob Hopkins en 2005 dans le cadre d’une formation en permaculture au Kinsale Further Education College en Irlande. Il a été mis en pratique pour la première fois l’année suivante, en 2006, à Totnes en Angleterre. Il consiste à semer hic et nunc les germes de formes sociales « résilientes », plus durables et plus humaines que celles basées sur ce « développement exponentiel » que dénonçait Charbonneau, et partant, propres à leur survivre, une fois que le pic du pétrole, conjugué aux effets du changement climatique, aura dissipé le mirage d’une « croissance indéfinie dans un monde fini » (Charbonneau 1990). Ce modèle a pour but d’aider les personnes intéressées à faciliter la transition de leur communauté en leur proposant une base sur laquelle s’appuyer pour entamer le processus.

 

Il existe aujourd’hui plus de 250 initiatives locales de Villes et communautés en Transition (voir leur site villesentransition.net) dans une quinzaine de pays et la liste s’allonge presque chaque semaine. La Transition comme mouvement constitue sans doute la plus prometteuse des « réactions des sociétés face aux défis posés par Bernard Charbonneau », répondant notamment à son souhait d’une « internationale des provinces et des villages » (Charbonneau 2009, 189), des communes et des quartiers (Charbonneau 1991, 173) contre la liquidation productiviste de la nature et de la liberté qui s’y conjoignent au mieux. Parmi les points de contact et de contraste avec la démarche de Bernard Charbonneau que je relèverai ici dans le Manuel de Transition de Rob Hopkins, dont j’ai collaboré à la traduction française, il convient d’abord de noter que la permaculture y joue un rôle de noyau doctrinal comparable à certains égards à celui du personnalisme dans les groupes du Sud-Ouest d’Amis d’Esprit où Charbonneau le premier, assisté de Jacques Ellul, formula le projet d’une écologie politique radicale comme position révolutionnaire originale, ainsi que l’ont démontré mes travaux historiques sur ce « personnalisme gascon ».(Roy 1990, 1992, 1997, 1999, 2008)

 

Mais il s’agissait d’abord dans leur cas d’une posture morale d’opposition pour ainsi dire volontariste à la société technicienne triomphante, alors que le point de départ de la Transition contemporaine est à la fois plus pragmatique et plus contingent, même s’il implique « la révolution des structures politiques et sociales » qu’appelle pour Charbonneau l’agriculture bio, ainsi que le rôle promis à l’agriculture urbaine. (Charbonneau 1991 : 194, 2009 : 208)

 

La permaculture a été conçue dans les années 1970, au moment de la première crise pétrolière, en tant qu’« agriculture permanente » délaissant la culture annuelle et la monoculture au profit de systèmes à plusieurs paliers utilisant des arbres et des plantes pérennes productifs et utiles. Sa pratique ne s’est pas longtemps limitée aux systèmes agricoles, car il devenait clair qu’une alimentation viable ne pouvait être obtenue sans une multitude d’autres éléments qui constituent une société —l’économie, le bâtiment, l’énergie et bien d’autres. (Hopkins 2010, 138)

 

Charbonneau pourrait aussi bien évoquer les grandes lignes de la permaculture quand il soutient que « L’agriculture peut résoudre les contradictions de la société industrielle ». Rétablir une agriculture, cela implique que l’essentiel du secteur agricole et forestier soit rendu à des paysans pratiquant la culture (et non l’exploitation) non épuisante des sols, en fonction des conditions locales, par l’assolement, l’amendement, le compost et le fumier, l’élevage de plein air. Le procédé mécanique ou chimique, sans être exclu par principe, ne peut être qu’un « rajoutis » dont seule l’expérience locale dira jusqu’où l’utiliser (…) sans nuire à la nature et à la qualité. Cela suppose que la priorité soit accordée au machinisme léger sur le lourd, au procédé naturel sur la chimie, à la polyculture sur la monoculture épuisante. Et que le paysan vivant sur et de sa terre, ni trop petite ni trop grande, remplace le prolétaire ou le capitaliste de l’exploitation agrochimique. (Charbonneau 1991, 181-2)

 

David Holmgren, co-inventeur du concept de permaculture, le réactualisa au début du siècle en fonction du pic pétrolier, au même moment où Hopkins eut recours à ses principes pour formuler une réponse à ce défi dès qu’il prit conscience de cette limite objective à la croissance, impliquant la fin imminente de la société industrielle mondialisée. À la différence de Charbonneau, Hopkins ne craint pas tant la consolidation totalitaire du système, dont le déploiement à grande échelle deviendra avant longtemps physiquement impossible, que l’inévitable chaos de son fatal effondrement et des soubresauts qui l’accompagneront. C’est ainsi que « les Initiatives de Transition sont fondées sur quatre prémisses de base : »

 

1) Nous ne pourrons éviter de vivre en consommant beaucoup moins d’énergie. Il vaut mieux s’y préparer que d’être pris par surprise.

 

2) Nos établissements humains et nos communautés manquent de la résilience nécessaire pour survivre aux importants chocs énergétiques qui accompagneront le pic pétrolier.

 

3 ) Nous devons agir collectivement et nous devons le faire maintenant. 

 

4) En stimulant le génie collectif de notre entourage pour concevoir en avance et avec créativité notre descente énergétique, nous pouvons construire des modes de vie plus interreliés, plus enrichissants et qui reconnaissent les limites biologiques de notre planète.

 

La Transition vers l’après-pétrole retrouve ici comme planche de salut au milieu du naufrage économique les objectifs politiques du personnalisme gascon qui, dès 1935-36, réclamait en conclusion de son Manifeste en 83 points, rédigé par Charbonneau et Ellul, « UNE CITÉ ASCÉTIQUE POUR QUE L’HOMME VIVE », dans ce qu’il faut considérer comme le premier appel à la décroissance, ou tout au moins à la limitation de la croissance au nom d’un minimum vital équilibré et holistique pour chacun, qui « soit à la fois matériel et spirituel. L’homme crève d’un désir exalté de jouissance matérielle, et pour certains de ne pas avoir cette jouissance, » (82º) si bien que le problème de la révolution se pose ici « sur le plan de la civilisation elle-même. Sur le plan des mœurs, des habitudes, des façons de penser, sur la vie courante de chacun de nous, sur son journal et son repas ». (81º)

 

Si la Transition suppose la révolution sans phrase d’une décroissance qui se produira d’elle-même par la force des choses que cela nous plaise ou non, c’est pour aussitôt ajouter qu’il ne tient qu’à nous que cette décroissance soit purement brutale ou richement conviviale : une occasion d’accomplissement à saisir au milieu des périls comme la meilleure façon de les traverser, en vue d’une vraie vie et non de la simple survie.

 

Un avenir plus pauvre en pétrole pourrait, si l’on y consacre à l’avance assez de réflexion et d’imagination, être préférable à notre présent. Un futur plus sobre en énergie et plus résilient ne signifie pas forcément de jouir d’une qualité de vie inférieure à celle du présent. Au contraire, un avenir où l’économie locale serait revitalisée posséderait bien des avantages par rapport au présent, entre autres une population plus heureuse et moins stressée, un environnement amélioré et une stabilité accrue. (Hopkins 2010, 132-3)

 

L’avenir relocalisé qu’envisage Charbonneau pour des raisons éthiques implique de même « l’association de l’industrie à l’agriculture » pour « aider les campagnes et les pays à revivre », sur la base « d’une autre technologie, plus légère, qui utiliserait l’eau sans la souiller, » à l’exemple des « moulins qui contribuent à l’agrément et à la stabilité des cours d’eau ». (Charbonneau 1991, 189)
Une telle industrie aurait l’avantage de peupler l’espace en utilisant plus de main d’œuvre; si celle-ci n’est pas exploitée, exercer ses muscles et son habileté serait-il plus pénible que de presser à longueur de journée sur un bouton ? Imaginons que l’on réintègre dans un travail personnel et diversifié la part de jeu que satisfait à grands frais l’industrie du loisir et des transports : au bout du compte on s’apercevrait peut-être qu’un travail industriel ainsi humanisé est autrement rentable et productif que la tâche totalement organisée; et l’on aurait mis fin à cette schizophrénie du travail et du loisir qui dissocie l’homme. Mais cette nouvelle industrie relèverait plutôt de l’artisanat, l’industrie lourde nécessaire, objet d’un service social, étant strictement cantonnée dans sa « zone industrielle ». Comment d’ailleurs pourrait-il y avoir une société locale sans artisans établis sur place? (Charbonneau 1991, 181-2)

 

C’est aussi à eux que s’adresse explicitement Hopkins dans la perspective d’une Transition en douceur vers l’après-pétrole : Le pic pétrolier est pour moi un appel aux maraîchers et aux pépiniéristes des chemins de campagne embrumés, aux ébénistes et aux fabricants de chaises des boisés, aux installateurs d’éoliennes individuelles sur les collines battues par les vents, afin qu’ils apportent toutes les merveilleuses compétences qu’ils ont accumulées et l’expérience qu’ils ont gagnée au cours d’années de pratique et d’observation à l’endroit même où la majorité de la population commence à réaliser que les choses ne vont pas bien. Je les implore d’apprendre de nouvelles façons de communiquer avec les gens ordinaires, dans un esprit de service, et d’essayer d’entrer en relation avec les autres à une échelle sans précédent. (Hopkins 2010, 138)

 

Cette exhortation de Hopkins constitue la réponse de son mouvement de Transition à la critique d’Eric Stewart de la permaculture dont elle tire ses fondements philosophiques, en vue de corriger le déséquilibre qu’y constate cet auteur entre « deux impulsions potentiellement opposées : l’une implique un retrait de la société et l’autre implique de travailler à la transformation de la société ». (Cité dans Hopkins 2010, 138)

 

Il est aisé de retrouver la même tension aux origines et dans le sillage du personnalisme gascon, entre, d’une part, l’exigence de rupture avec la société existante dont témoigne le modèle initial des camps de réflexion dans la nature et, d’autre part, l’insertion dans un large mouvement citoyen moins idéologique à base pragmatique tel que les comités de défense de la côte aquitaine. Le 37e des 83 points des Directives pour un manifeste personnaliste de Charbonneau et Ellul déclare sans ambages : La Révolution personnaliste se fera sous la forme d’une Société achevée à l’intérieur de la Société actuelle, ayant sa position complète hors des cadres du monde actuel. Cette société doit être une société personnaliste avant que les éléments de la société actuelle qui sont en contradiction et en lutte les uns avec les autres disparaissent. Puisque nous ne pouvons lutter directement contre eux, il faut que nous nous en passions et que nous attendions leur destruction par eux-mêmes. Le personnalisme est une société révolutionnaire qui prépare les cadres d’une société future.
Ce modèle fonctionnel d’une nouvelle société est destiné à s’imposer plus généralement en surnageant parmi le naufrage de l’ancienne, n’y ayant jusque là qu’une présence discrète, comme celle d’humbles mammifères prêts à remplir les niches écologiques laissées vacantes par l’extinction massive des dinosaures. Le discours révolutionnaire en moins, on trouve de semblables présupposés dans cette citation de David Ehrenfeld que Hopkins met en évidence en marge de son énoncé des « Six principes qui sous-tendent le modèle de Transition » : Notre tâche la plus urgente est de créer une structure fantôme économique, sociale et même technologique qui sera prête à prendre la relève quand le système actuel tombera en panne. (Cité dans Hopkins 2010, 139)

 

Si (38º) « cette société devra avoir le moins de points communs possibles avec la société actuelle » selon les personnalistes gascons, une semblable attitude est précisément ce qui pour Hopkins pose problème dans « la permaculture telle que Holmgren l’a redéfinie », soit « un mouvement qui propose le système de conception et le fondement philosophique pour une société après le pic, tout en ayant le tort, selon Stewart, de se maintenir à distance de cette société ». (Hopkins 2010, 138)

 

Cela vaudrait sans doute aussi pour le personnalisme gascon, avec son exigence d’une « forte formation doctrinale ». Or « il s’agit moins en cela de l’établissement d’une série de dogmes que de la création chez tous les membres d’une nouvelle mentalité » sur la base d’« un pragmatisme » (42º) jugeant des principes à leurs conséquences, inséparable d’une action qui « doit surtout être un style de vie » (45º), par la « création de nouvelles habitudes. Ainsi prenant l’étude de la culture du blé, il s’agira non pas d’étudier une politique mondiale du blé, mais une culture du blé dans le Béarn, ex. : une politique personnaliste du blé ».(46º) Ceci a pour but de diriger l’économie « vers d’autres fins qu’elle-même : la préservation de la terre et des libertés » ; or Charbonneau sait de quoi il parle quand il écrit encore dans Le Feu vert que « celui qui n’oublie ni les fins ni le poids des moyens ne peut qu’être accablé par l’énormité des problèmes que pose un tel virage ». (Charbonneau 2009, 122)

 

Hopkins part lui-même du constat « que parmi les principaux obstacles à l’implication se cachent les sensations d’impuissance, d’isolement et d’écrasement que les problèmes écologiques créent souvent. Ces problèmes ne placent pas les gens dans une position d’où ils peuvent agir, que ce soit en tant qu’individu ou que communauté ». (Hopkins 2010, 140)

 

Charbonneau semble avoir mis de l’eau dans son vin quand il en vint à écrire son Autocritique du mouvement écologique, car pour lui comme pour Hopkins, même sans l’horizon du pic pétrolier, « bien que l’urgence soit criante, un tel demi-tour ne pourra se faire que très progressivement après maints conflits et compromis avec les grands intérêts et les habitudes du public (ne pensons qu’à l’auto), les mythologies, entre autres les passions idéologiques et nationalistes. Pour s’attaquer les yeux ouverts à un tel adversaire, l’espoir est une aide bien maigre, il faut la foi dans le sens et la nécessité de l’entreprise ». (Charbonneau 2009, 205)

 

Pour Hopkins en revanche, l’approche de Transition est « motivée par l’espoir, l’optimisme et l’action préventive » (Hopkins 2010, 133), ayant volontiers recours à des idées venues de la psychologie pour « exploiter la puissance d’une vision positive » (Chapitre 7) tout en appliquant au pétrole des « acquis dans le domaine du traitement des dépendances » pour « aider le mouvement écologiste à comprendre le processus de changement » (Hopkins 2010, 92).

 

C’est un peu la réponse de la Transition à la question angoissée de Charbonneau : comment faire accepter le demi-tour de la décroissance « sans faire sauter une machine organisée en fonction de tout autre principe? On n’aura sans doute jamais assez de fermeté sur les fins et d’empirisme sur les moyens » (Charbonneau 2009, 122) pour « freiner une économie en chute libre sans faire exploser le moteur ou rentrer dans le décor », tout en s’efforçant de « réintégrer sans drame dans l’écosystème terrestre des monstres soi-disant urbains de plus de dix millions d’habitants ». (Charbonneau 2009, 205)

 

Les méthodes psychologiques de Transition semblent faire leurs preuves pour éviter la panique et le défaitisme et inspirer le courage et la patience d’entreprendre cette manœuvre délicate d’une portée gigantesque par petits pas constructifs. Mais si elles rejoignent l’accent mis par Charbonneau sur les obstacles que rencontre le changement en chaque sujet personnel, c’est sans l’acuité existentielle avec laquelle le moraliste français met en lumière ces débats intérieurs, ni surtout les mettre en rapport explicite avec les conditionnements extérieurs que déploie pour les dévier

 

La société médiatisée, telle qu’analysée dans un ouvrage inédit de 1987 qui développe certains aperçus du Feu vert. (voir Roy 2010) La « liste des outils du Manuel de Transition comprend ainsi un guide pour « écrire un bon communiqué de presse » (no 8), selon les règles des médias permettant d’y faire passer l’information qu’on cherche à faire circuler. Il importe certes de les connaître afin de s’en servir en connaissance de cause, mais cette approche instrumentale néglige leur ambivalence fondamentale, comme s’ils étaient par nature neutres, et non des rouages vitaux du système plus vaste qu’on cherche à circonvenir. N’empêche, la Transition a aussi tout le temps d’apprendre :
Cela ne se fera pas en un jour comme ces révolutions qui, prétendant tout changer en un tour de main, sont sans lendemain. Qu’importe que celle-ci dure cent ans ou mille ans si elle rend le temps à la terre, c’est sa direction qui compte. Faire baisser le taux de croissance pour rétablir l’équilibre, comme l’écrit C. Amery, cela peut commencer dès à présent dans le cabinet de l’industriel, du savant ou du penseur révolutionnaire, au garage, à la table et au jardin du Français moyen, dans le champ de la communauté ou à la réunion locale du syndicat. La route infinie commence à nos pieds. (Charbonneau 2009, 205)

 

La Transition se présente bien comme le genre de « Révolution immédiate » que s’est voulu le personnalisme gascon, commençant dès maintenant dans le lieu et le milieu où l’on vit : une « utopie-topique », comme Charbonneau désignait l’écologie au chapitre 11 du Feu vert. En même temps, ajoutait-il, Un changement social aussi fondamental n’est pas un happening ni même une fête destinée à purger la société des pulsions qui la menacent, c’est une entreprise énorme et de longue haleine qui demande au moins autant d’objectivité et de raison que la gestion de la Régie Renault. (Charbonneau 2009, 170)

 

Non que la fête n’ait son rôle social intégré dans les deux modèles. Depuis sa critique des congrès personnalistes du mouvement Esprit dans les années 1930 qui l’amena à s’en détacher pour privilégier la formule des camps de réflexion en pleine nature, Charbonneau a toujours insisté sur l’importance de « créer des formes de réunion, de communication et de manifestation proprement écologiques. La révolte de Mai fournit quelques exemples, bien que trop spectaculaires, de cet effort d’imagination (presse parallèle, radios clandestines, style de certaines manifs) ». (Charbonneau 2009, 186) Le mouvement de Transition n’hésite pas quant à lui à emprunter par exemple au management la « technologie » brevetée du Forum ouvert (Open Space), à côté de mises en situation d’inspiration psychologique.

 

Le modèle de Transition utilise ces idées pour, premièrement créer une vision positive, deuxièmement créer des espaces où les gens peuvent, en toute sécurité, parler, assimiler et ressentir comment ces questions les affectent et troisièmement valider les démarches et les actions que les gens ont entreprises tout en intégrant au processus autant d’occasions de fêter les réussites que possible. Ces rassemblements, où se développe le sentiment de ne pas être la seule personne au monde consciente du pic pétrolier et du changement climatique ni la seule à en être effrayée, sont très puissants. Ils permettent aux gens de sentir qu’ils participent à un effort collectif, qu’ils font partie de quelque chose de plus grand qu’eux. (Hopkins 2010, 140)

 

Charbonneau prévoyait le même genre de rôle pour les « rites, fêtes ou cérémonies qui symboliseraient l’association » (Charbonneau 2009, 188) écologique dans son projet d’« ordre écologique », déjà esquissé en détail avant-guerre dans un cadre personnaliste, où celle-ci « deviendrait le prototype de la société respectueuse de la nature et de la liberté à venir. Mais ce ne serait pas une société idéale, seulement bien réelle, qui tiendrait compte des possibilités de la situation et de ses membres. »

 

Comme le réseau de Transition pourrait bien être en passe de le faire au sein de la mouvance écologique, « vis-à-vis du parti écologique elle remplirait la fonction d’une autorité face au pouvoir à la manière d’une Église face à l’État, bien que ces deux termes méritent quelque réserve ». (Charbonneau 2009, 187)

 

La formation des initiateurs de Transition est certes rigoureuse et prescrit un certain nombre d’étapes pour l’accréditation et le développement des groupes, répondant jusqu’à un certain point à l’idée chère à Charbonneau d’un « ordre écologique » comme institution, véritable cléricature du mouvement en vue d’un nouvel ordre social. La Transition se méfie cependant de l’institutionnalisation du rôle des fondateurs au sein d’une initiative locale et prévoit de le limiter dans le temps. La première des 12 étapes de Transition consiste ainsi à « Constituer un groupe initiateur et planifier dès le départ sa dissolution. » (Hopkins 2010, 146)

 

En revanche, pour ce qui est de l’étendue dans l’espace, « il n’y a pas de formule magique concernant l’échelle, » car pour Hopkins, « le niveau idéal pour une Initiative de Transition est celui que vous sentez pouvoir influencer ». Il est donc déconseillé de commencer par l’échelle régionale ou nationale. « Certes, il pourrait arriver à une étape ultérieure que l’éventail de groupes d’une zone géographique donnée ressentent le besoin de se réseauter pour améliorer leur efficacité, mais il faut que ce réseau émerge d’une base de communautés de Transition intenses, plutôt que d’être créé à l’avance (…). » (Hopkins 2010, 143)

 

Charbonneau n’en disconviendrait pas, prévoyant même une limite « spatiale » de nombre —plutôt que « temporelle » de mandat— à la constitution des groupes. Il garde néanmoins toujours à l’esprit que, tant pour la société écologique que pour l’association qui la préfigure, l’« organisation naturelle est la fédération, » dont l’horizon est global en vertu même de son enracinement local.
C’est-à-dire une base de cellules enracinées dans leur lieu : comités de village ou de pays, clubs de bourgade ou de quartier. La nécessité de leur maintenir une taille humaine (…) force à envisager un numerus clausus au-delà duquel un autre groupe devrait se fonder. Ces sociétés locales seraient réunies comme d’autres à l’échelon régional, national et international, où les responsables locaux auraient l’occasion d’élargir leur horizon, de se connaître, de confronter leur expérience et de coordonner leur action. (Charbonneau 2009, 189)

 

C’est un peu ce qui se passe au niveau international du réseau de Transition et de ses subdivisions, telle que sa branche francophone en formation, où l’on peut imaginer avec Charbonneau qu’« un Suisse ou un Belge mettra à juste titre l’accent sur les dégâts commis par l’entreprise privée et le gouvernement provincial, alors qu’un Français insistera sur les méfaits de l’État central et de l’Aménagement du territoire. Ainsi les uns et les autres pourraient-ils s’enseigner mutuellement en montrant comment le capitalisme privé et l’État se combinent et se combineront de plus en plus ». (Charbonneau 2009, 189)

 

Ce serait là l’occasion d’une prise de conscience de ce qui les unit par-delà leurs horizons culturels et idéologiques parfois divergents dans un projet commun inclassable, si ce n’est en tant que foncièrement personnaliste.

 

Au contraire d’une économie politique qui socialise l’individu et étatise la société, l’écologie politique personnalise la société et socialise l’État, car elle n’est pas capitaliste ou socialiste, elle est ailleurs. Mais elle n’échappera pas plus à certaines nécessités économiques qu’à un minimum de direction de l’économie par l’État. Seulement, ce ne sera pas le même. Et comme elle portera sur le développement de la science et de la technique qui détermine celui de l’économie, cette direction en sera une. Cette intervention de l’État, prudente et méfiante, parce que cette fois vraiment pratiquée aux fins de son dépérissement, sera particulièrement nécessaire durant la période de transition : comme les arbres, les sociétés et les hommes ont besoin d’un tuteur en attendant de repousser. (Charbonneau 2009, 204)

 

En dépit du modèle d’anarchie privilégié par l’auteur du réquisitoire de L’État, Bernard Charbonneau envisageait sereinement le rôle qu’un gouvernement central serait appelé à jouer dans un processus de transition vers l’après-développement. Peut-être aurait-il pu en venir à admettre l’engagement constructif avec les pouvoirs en place que préconise le modèle de Transition, en commençant par l’échelon local, sans désespérer pour autant du niveau national, une fois le processus bien lancé et que l’impossibilité de gérer le désordre établi comme si de rien n’était sera devenu patente sous l’effet des crises imminentes. Pour Hopkins, la puissance du processus de Transition réside dans sa capacité à créer une véritable dynamique dirigée par les communautés qui se relie ensuite à la politique locale, mais à ses conditions. (…)

 

Il est important que les Initiatives de Transition opèrent indépendamment des élus locaux, du moins au début. Par définition, une Initiative de Transition ne peut pas être conçue et dirigée par le conseil municipal, mais est un projet où le soutien actif et enthousiaste de l’administration locale vaut son pesant d’or. (Hopkins 2010, 142)

 

C’est ce qu’on pourra voir par exemple dès le deuxième weekend de formation officielle pour initiateurs de Transition au Québec les 14 et 15 mai prochains dans la petite ville industrielle de Drummondville, où le député local à l’Assemblée nationale, Yves-François Blanchet, sera non seulement présentateur, mais contribuera aux frais d’inscriptions de ses concitoyens. Un tel empressement semble même brûler les étapes prescrites par Hopkins, pour qui, « au lieu de se perdre dès le début dans le dédale de la rédaction et de la mise en application des politiques à l’échelle locale, les premiers pas décisifs sont plutôt d’amener la communauté à une prise de conscience et de bâtir une énergie collective autour du projet ». Ce n’est qu’ensuite en principe que « l’administration locale voudra faire partie du processus parce qu’elle constatera que c’est là où l’énergie et des façons de voir innovantes se déploient ». (Hopkins 2010, 143)

 

Mais aussi parce que c’est là que des raisons communes rassembleuses se dessinent comme base d’un nouvel art de vivre ensemble à long terme ; ce n’est qu’ainsi qu’un mouvement en vient à faire société, captant insensiblement l’autorité de définir et mettre en œuvre les orientations de la cité. C’est pour cela que Rob Hopkins voit dans l’inclusivité le second des « six principes qui sous-tendent le modèle de Transition », le premier étant « une vision claire et attrayante du résultat souhaité ». (Hopkins 2010, 139)

 

Ainsi, pour citer le reportage d’un journal local de Drummondville, « le Réseau de villes et villages en transition favorise l’émergence de groupes dans les communautés du monde, afin que des citoyens issus de tous les secteurs (affaires, communautaire, environnemental, transport, commercial, élus, santé et tourisme) trouvent ensemble des solutions pour construire des sociétés écologiques et résilientes ». (Tremblay 2011)

 

Nous ne pouvons relever d’aussi vastes défis que ceux du pic pétrolier et du changement climatique en choisissant de rester dans nos zones de confort : les « verts », ne parlant qu’à d’autres « verts », les gens d’affaires à d’autres gens d’affaires, et ainsi de suite. L’approche de Transition cherche à favoriser un niveau de dialogue et d’intégration rarement atteint auparavant et elle a commencé à mettre au point des méthodes innovantes pour y arriver. (Hopkins 2010, 139)

 

Il se peut donc bien qu’à la faveur du moment révolutionnaire objectif que nous ménage le pic pétrolier, dont Charbonneau chercha en vain l’équivalent éthique aux beaux jours du développement exponentiel, la Transition soit en passe de réaliser sans tambours ni trompettes la révolution immédiate qui donnait sens à sa vie. Mais si elle doit passer par l’inclusivité, elle ne saurait faire l’économie d’une prise de conscience des principes apparemment opposés qu’il lui revient de concilier non seulement dans le ciel des idées, mais sur le plan des mentalités, dans le secret des personnalités. C’est l’un des grands mérites de Bernard Charbonneau que d’y avoir insisté dans son Autocritique du mouvement écologique, soulignant qu’il lui faut s’assumer comme « révolution conservatrice » ou « conservatisme révolutionnaire » (Charbonneau 2009, 170), à ne pas confondre avec le « progressisme réactionnaire » ou « réaction progressiste » qui, fût-ce en les exacerbant, « cumule et confond le mensonge de droite et celui de gauche » en vertu d’un « nihilisme de l’agir pour agir ». Pourtant, soutient-il, « si l’on retourne à leur origine, les valeurs de droite et de gauche, loin d’être opposées, sont complémentaires. C’est la reconnaissance des exigences de la nature et de la société, l’enseignement du passé qui fait de l’idéal de liberté et d’égalité autre chose qu’un rêve. Ce dépassement et ce ressourcement de valeurs jusque là opposées, l’écologie les a entrepris en mettant l’accent sur la nature contre le ‘progrès’ ». (Charbonneau 2009, 192-3)

 

L’écologisme est donc « à la fois révolutionnaire parce qu’il réclame un changement de sens radical de la société, et conservateur », puisque « sur le terrain le mouvement écologique défend ce qui est : ces arbres, ces villages, cette culture. » « Il ne doit pas avoir honte d’être conservateur, loin de là, il doit arracher ce terme à une droite qui ne conserve plus rien du trésor accumulé par la terre et les hommes ». (Charbonneau 2009, 167-8) Seulement, « parce que le principe du désordre établi est aujourd’hui le pillage de l’existant, sa défense est révolutionnaire ». (Charbonneau 2009, 195)

 

Malgré sa discrétion et son accent pragmatique, on ne saurait donc dénier ce caractère révolutionnaire au modèle de Transition, qui a su trouver le juste milieu entre utopisme évasionniste et pseudoréalisme politicien sur la voie duquel Charbonneau chercha à guider le mouvement écologique, en mettant en pratique cette citation de Joel Barker en exergue du tout premier Plan de descente énergétique de Kinsale : Une vision sans action n’est qu’un rêve; de l’action sans vision ne fait que passer le temps; la vision conjuguée à l’action peut changer le monde. (Hopkins 2010, 129)

 

Références bibliographiques

 

Article de revue

CHARBONNEAU, B.; ELLUL, J. (1999), « Directives pour un manifeste personnaliste », Revue française d’histoire des idées politiques, n° 9.

ROY, C. (1992) « Aux sources de l’écologie politique : le personnalisme ‘gascon’ de Bernard Charbonneau et Jacques Ellul », Annales canadiennes d’histoire, XXVII, avril, pp. 67-100. Trad. italienne: Trasgressioni. Rivista quadrimestrale di cultura politica, n° 33, hiver 2002, pp. 77-109.

ROY, C. (1999) « Ecological Personalism: The Bordeaux School of Bernard Charbonneau and Jacques Ellul », Ethical Perspectives, vol. VI, n° 1, avril, pp. 33-44, résumé comme le document n° 698481 du vol. 36 de The Philosopher’s Index (2003).

 

Ouvrages

CHARBONNEAU, B. (1980, 2009) Le Feu vert. Autocritique du mouvement écologique. Préface de Daniel Cérézuelle. Paris : Karthala, Lyon: Parangon/Vs, collection «L’Après-développement» dirigée par Serge Latouche, 224 p.

CHARBONNEAU, B. (1987) L’État. Paris : Economica, 450 p.

CHARBONNEAU, B. (1973, 1990) Le système et le chaos. Critique du développement exponentiel. Paris: Anthropos; Economica, 290 p.

CHARBONNEAU, B. (1991) Sauver nos régions. Écologie et sociétés locales. Préface de Pierre Samuel. Paris : Sang de la terre, collection «Les Dossiers de l’écologie», 200 p.

HOPKINS, R. (2010) Manuel de Transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale. Traduction de HOPKINS, R. (2008). The Transition Handbook. Totnes, Devon : Green Books. Préface de Serge Mongeau. Coordination de l’édition en français par Michel Durand. Montréal: Écosociété, collection «Guides pratiques», 216 p.

Chapitres  d’ouvrages

ROY, C. (1997) « Entre pensée et nature : le personnalisme gascon », in PRADES, J. (dir.), Bernard Charbonneau. Une vie entière à dénoncer la grande imposture, Ramonville Saint-Agne : Érès, pp. 35-49.

ROY, C. (2008) «Charbonneau, Bernard», in PAVAN, A. (dir.) Enciclopedia della persona nel Xx secolo. Naples: Edizioni Scientifiche Italiane.

 

Publications électroniques

ROY, C. (1990) Nature et Liberté: le combat solitaire de Bernard Charbonneau, Vice Versa, n° 30, pp. 12-14. [En ligne] URL : http://www.viceversamag.com/viceversa-1983-97.

ROY, C. (2010) Société médiatisée et Transition écologique: L’information-publicité-propagande selon Bernard Charbonneau, Global Media Journal, vol. 3, n° 2, pp. 91-98. [En ligne] URL : http://www.gmj.uottawa.ca/1002/v3i2_roy_e.html.

TREMBLAY, L. (2011) Une formation de calibre international s’organise en lien avec la consommation de pétrole, L’Express, [En ligne] URL :

http://www.journalexpress.ca/Societe/Environnement/2011-04-04/article-2399563/Une-formation-de-calibre-internationale-sorganise-en-lien-avec-la-consommation-de-petrole/1.

Sur les villes en transition

Sur les villes en transition

Posted on Jeudi 21 février 2013 by Jean Zin

 

Les « villes en transition » sont incontestablement des initiatives positives et nécessaires qu’il faut encourager comme tout ce qui va dans le sens d’une relocalisation de l’économie et de ce qu’ils appellent les capacités de résilience locale (diversité, modularité, proximité). On pourrait cependant préférer un projet plus global de villes vertes car il y a deux points, qui sont au centre de cette démarche, sur lesquels on peut avoir un regard plus critique. D’abord la focalisation sur une fin du pétrole qui est loin d’être avérée encore, ensuite la dépolitisation d’une démarche qui gagnerait à prendre une dimension véritablement municipale.

Nous vivons à l’évidence une transition, notamment énergétique, mais la question n’est pas si tranchée que le présentent certains avec force graphiques prolongeant les courbes. Des gens très sérieux et compétents nous démontrent que la fin est proche, ce qui semble on ne peut plus raisonnable. Sauf qu’on nous le prédit depuis longtemps et que cela ne se vérifie pas encore dans les faits. Il faut rappeler les proclamations apocalyptiques d’un député vert qui prétendait que les jeux olympiques de Londres n’auraient pas lieu par manque de pétrole !

Ce n’est pas que les pétroliers, qui sont pourtant aux premières loges, ne contredisaient systématiquement ces prédictions réajustées sans cesse mais on ne tient pas compte de leurs avis considérés comme forcément trompeurs alors qu’ils se sont révélés bien plus fiables que les prévisions catastrophistes. Il est vrai que les incertitudes restent immenses mais ce n’est pas une raison pour privilégier un point de vue trop unilatéral. On va sur les sites consacrés à la fin du pétrole uniquement pour confirmer ses opinions et on n’y trouvera pas les informations qui vont en sens inverse (ce sont des filtres déformants, ainsi on parlera de la baisse de production des majors pour masquer l’augmentation de la production globale).

Il y a pourtant des certitudes physiques nous assurant qu’on ne manque certes pas d’énergie et qu’on n’est même pas près de manquer d’hydrocarbures, qu’il y a encore des quantités colossales de méthane dans les sols et sous les mers (clathrate ou hydrate de méthane), de même que du pétrole sous des formes certes impures mais en abondance et jusqu’au Pôle Nord qui se libère des glaces. Même si on peut toujours en faire un phénomène transitoire, voire une bulle qui devrait bientôt éclater, la baisse importante du prix du gaz de schiste est un signe tangible que, pour l’instant en tout cas, on ne manque pas de pétrole ni de gaz ni de charbon mais qu’on a au contraire bien trop d’énergies fossiles au regard des risques climatiques !

Ce n’est pas parce que physiquement on ne manque pas d’énergie qu’on aurait en quoi que ce soit la garantie que la production s’adapte sans heurts au développement des pays les plus peuplés qui vont considérablement peser sur les ressources. Il peut y avoir des crises graves, des pénuries, un emballement des prix mais, d’une part cela ne peut aller trop loin car dès que l’économie entre en récession, les prix se réorientent à la baisse, et surtout, il y a clairement encore de quoi nous faire griller sur place. Il faut envisager sérieusement l’hypothèse que la consommation d’hydrocarbures continue à augmenter. Les masses en jeu sont considérables, ce qui ne va pas sans une grande inertie, mais la limitation n’est pas tant physique qu’économique et il ne faut pas s’attendre à ce que le réchauffement climatique s’arrête tout seul par manque de carburant.

Bien sûr l’épuisement des ressources non renouvelables est inévitable un jour ou l’autre mais ce n’est pas l’énergie qui peut nous manquer, inondés abondamment par le soleil nous donnant plus qu’on ne peut consommer (et le photovoltaïque est en progrès constant comme les autres énergies renouvelables qui deviennent de plus en plus compétitives). Or, ce qui caractérise l’énergie, c’est de pouvoir changer de forme indifféremment (pile chimique alimentant un mouvement mécanique), peu importe sa source, ce qui différencie nettement les questions énergétiques des questions écologiques impliquant une diversité infinie et des ressources véritablement limitées cette fois. Malgré la popularité du courant de l’écologie énergétique, il faut rétablir qu’avec l’écologie on n’est plus dans l’énergie et le quantitatif mais dans l’information, le complexe, le vivant, le qualitatif.

Finalement, on peut se dire que peu importe la raison puisqu’on est de toutes façons dans une transition énergétique et qu’une nouvelle crise du pétrole reste possible voire probable, seul importe le résultat. Sauf que, si la production de pétrole continue à progresser et que son prix n’augmente pas trop, ce qui n’a rien d’impossible, il faudrait donc tout arrêter ? C’est là qu’on voit la faiblesse de cette simplification alors que la nécessité de la relocalisation de l’économie ne vient pas seulement du manque de pétrole, ni même du réchauffement climatique, mais plutôt d’une globalisation marchande qu’elle doit équilibrer.

Après la théorie sous-jacente, c’est la pratique qu’on peut critiquer ou du moins compléter car les deux stratégies ne s’excluent nullement (il n’est pas question de faire la guerre à des initiatives très positives). Quand on veut transformer une ville, il y a un avantage certain à une approche plus politique au niveau municipal, pouvant défendre un projet cohérent engageant toute la population dans ses différences plutôt que des petits groupes homogènes ou des systèmes communautaristes. Faire des monnaies et des coopératives municipales permet de les gérer dans le cadre de la démocratie locale et de passer à la vitesse supérieure. La politisation ne signifie pas forcément dresser les uns contre les autres mais la question du partage reste très politique entre charge fiscale et bénéfice social comme entre contrainte et liberté. C’est incontestablement beaucoup plus difficile voire utopique, il n’est donc pas une mauvaise idée de contourner le politique dans un premier temps pour agir sans tarder mais cela n’empêche pas qu’accéder au projet municipal devrait rester l’objectif final. Au lieu de dissoudre le politique dans le local livré à l’initiative privée, il faudrait essayer de récupérer au niveau local le pouvoir politique perdu aux niveaux supérieurs (pouvoir économique et monétaire).

En fait, ce qui est le ressort du succès (relatif) du mouvement des villes en transition, c’est la simplicité du message et la focalisation sur un seul élément (l’énergie), mais c’est aussi ce qui fait son insuffisance. On ne peut en effet éviter de se situer dans son environnement pour se projeter dans l’avenir, on ne peut se passer, quoiqu’on dise, d’un point de vue plus global incluant l’économie numérique et les transformations du travail, avec la nécessité de sortir du productivisme et de la société de consommation. Cela complique pas mal les choses sans aucun doute et rend plus difficile de s’accorder sur le possible et le nécessaire.

Ainsi, je crois, pour ma part, qu’on a besoin non seulement d’une reconversion énergétique devenue prioritaire mais aussi d’un ensemble de dispositifs « faisant système » (production, distribution, circulation) pour construire une alternative locale viable face à la globalisation marchande et au système de production capitaliste/salarial. C’est à quoi est supposé répondre le triptyque : coopératives municipales, revenu garanti, monnaie locale mais l’important, c’est la cohérence d’ensemble assurant la pérennisation du système.

Cependant, en attendant qu’on arrive à s’entendre sur ces sujets controversés et qu’on puisse avoir une petite chance de gagner une mairie, la stratégie des villes en transition est sûrement la meilleure. Il faut la prendre comme une stratégie temporaire, de court terme, voire d’urgence mais qu’on peut vouloir inscrire dans une vision à plus long terme même si elle n’est pas tout-à-fait conforme au dogme officiel.

Les « solutions » sont nécessaires, mais elles n’empêcheront pas l’effondrement

Article tiré de reporterre

Les « solutions » sont nécessaires, mais elles n’empêcheront pas l’effondrement

13 juin 2016 / Pablo Servigne

Face à la perspective de l’effondrement, l’homme chauffe son espoir au foyer de « solutions »,explique l’auteur de cette tribune. Mais ces solutions vont-elles éviter, ralentir ou accélérer l’effondrement ?

Pablo Servigne est coauteur, avec Raphaël Stevens, de Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (Seuil, 2015).

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Pablo Servigne.

Avez-vous vu le film ou lu le livre Demain ? On y parle dès les premières minutes d’effondrement de notre civilisation, voire d’extinction de l’espèce humaine. Et pourtant, on entend souvent dire que ce film « redonne espoir », « donne du baume au cœur », « fait du bien »… Pourquoi ? Évidemment parce qu’il est bien fichu, la musique et les couleurs sont belles, les questions sont bien posées, et les réponses sont apaisantes, sensibles et intelligentes. On a l’agréable sensation de se sentir moins seul et impuissant. Et enfin, le film a le mérite de présenter des indispensables« solutions ».

« Mais solutions à quoi ? » me suis-je demandé en visionnant le film ? Et à quoi pensent les centaines de milliers de spectateurs qui se pressent dans les salles et qui ressortent avec le sourire au lèvres ? Comment peut-on être à la fois enthousiaste et conscient de la fin de notre monde ?

Les spectateurs croient que l’on peut éviter l’effondrement

La première hypothèse est tout simplement que les spectateurs croient que l’on peut encore éviter un effondrement de civilisation grâce aux solutions proposées dans le film. Autrement dit, que l’on pourrait maintenir notre niveau de vie, élever celui des plus démunis, maintenir à flot l’économie et la finance, faire revenir la biodiversité disparue (ou au moins arrêter l’extinction des espèces), stabiliser le climat, et recycler tous les objets car l’énergie serait gratuite et ne polluerait plus. Personnellement, je n’y crois pas, et avec mon ami Raphaël Stevens, nous avons rassemblé une somme d’arguments qui étayent nos doutes [1].

La deuxième hypothèse serait que les spectateurs s’enthousiasment à l’idée que les « solutions »politiques, techniques et spirituelles présentées dans le film servent à ralentir l’effondrement, et donc à nous donner un petit sursis de quelques années pour nous permettre de préparer les germes d’une nouvelle civilisation, c’est-à-dire revenir doucement à une société décente, bien cloisonnée aux limites et aux frontières de la capacité de la biosphère. Il faudrait pour cela — et ce n’est pas une mince affaire ! — démonter rapidement toutes les centrales nucléaires et sortir totalement et définitivement des énergies fossiles (tout en s’adaptant à un climat imprévisible et violent). Notre niveau de vie baisserait, le niveau de vie des plus démunis pourrait éventuellement s’élever un peu, l’extinction des espèces se stabiliserait à des niveaux acceptables, tout comme le climat, et nous irions vers un niveau de consommation énergétique global très faible, ainsi qu’un civilisation low-tech.

La troisième hypothèse pour expliquer le mystère du mot « solutions » serait au contraire qu’elles permettent d’accélérer l’effondrement de notre civilisation industrielle. Si vous y réfléchissez bien, les mettre en place pourrait précipiter la fin de la finance que nous connaissons, du système-dette, de la mondialisation des échanges commerciaux, du tourisme de masse, de l’extraction d’énergies fossiles et de minerais ou de l’agriculture industrielle. Ce serait donc la fin du monde tel que nous le connaissons. Ces solutions permettraient peut-être aussi d’atténuer les effets de cet effondrement (guerres, maladies, famines, catastrophes naturelles, accidents, etc.) tout en préparant la construction de ce qui pourrait advenir…

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La troisième hypothèse supposerait, notamment, la fin du tourisme de masse.

Alors, qu’en est-il ? Des « solutions »… pour éviter, ralentir ou accélérer l’effondrement ? De retour chez moi, impatient d’avoir une réponse à cette question, j’ai tenté une petite expérience. J’ai posté un sondage sur mon mur Facebook. Je sais, ça craint, mais c’était rapide et facile, et ça m’a soulagé. En quelques heures, j’ai reçu 228 réponses et des dizaines de commentaires vifs et pertinents.

Partis et institutions feraient bien de se mettre à jour

Les résultats méritent d’être partagés. Seuls 3,9 % des participants ont désigné la première hypothèse (éviter l’effondrement). Autrement dit, 96,1 % de cet échantillon de population (biaisé bien entendu [2]) imagine un effondrement comme horizon ! Ce résultat mérite à lui seul qu’une équipe de sociologues s’y intéresse de plus près…

Mais continuons, seulement 41,2 % des personnes interrogées espèrent que les « solutions » du film ralentissent les catastrophes pour pouvoir avoir le temps de construire une société un peu plus décente (deuxième hypothèse). Pourquoi si peu ? Probablement parce que notre « système-monde » est verrouillé. Imaginez, par exemple, que l’on boycotte massivement l’agriculture industrielle, croyez-vous sincèrement qu’elle arrive à se reconvertir tranquillement en quelque chose de « soutenable » (c’est-à-dire sans pétrole, sans phosphate, sans machine lourde, sans pesticide ni engrais de synthèse, sans chaine longue d’approvisionnement, avec beaucoup moins d’emballages et de réfrigération, etc.). Il faudrait changer tout le système alimentaire ! De même, comment imaginer que le système-dette ralentisse et devienne « durable », puisqu’il repose précisément sur l’accroissement infini des dettes ? Un ralentissement économique durable signerait inévitablement son arrêt de mort.

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Imaginez, par exemple, que l’on boycotte massivement l’agriculture industrielle, il faudrait changer tout le système alimentaire !

Cette deuxième hypothèse (croire à un ralentissement de l’effondrement) contient donc une contradiction, une sorte d’étrange mixture entre lucidité et déni : on accepte la possibilité d’un effondrement, mais on se l’imagine encore contrôlable, tranquille, planifié et graduel. Il s’agit là probablement d’une représentation de l’avenir que l’on retrouve au sein du mouvement de la Décroissance. Il serait intéressant de savoir ce que répondraient les objecteurs de croissance à ce sondage…

Enfin, il est impressionnant de constater que plus de la moitié des sondés (54,8 %) sont plutôt persuadés que les « solutions » du film Demain précipiteront la fin de notre civilisation thermo-industrielle. Étonnant, non ? Voilà qui change radicalement le sens commun du mot « solution » ! Voilà aussi un signe que la pensée écologiste a radicalement changé ces dernières années (voire ces derniers mois). Les partis politiques et les grandes institutions feraient bien de se mettre à jour… Car il est désormais impossible d’ignorer le spectre de l’effondrement.

Une situation inextricable, comme la mort ou une maladie génétique incurable, qui n’a pas de solution

Toute cette confusion autour de l’idée de « solutions » est probablement la conséquence d’un malentendu sémantique. En effet, en français, lorsqu’on a un problème, on cherche une solution. C’est simple, il faut analyser le problème, concevoir une solution, puis la mettre en œuvre. Et le problème disparaît. Voilà le schéma général du binôme problème/solution.

Les anglophones, quant à eux, ont aussi des problèmes et des solutions, mais ils ont un autre mot, qui peut s’avérer bien plus utile pour décrire notre situation. Ils utilisent le mot (intraduisible) depredicament. Il s’agit d’une situation inextricable, comme la mort ou une maladie génétique incurable, qui n’a pas de solutions (la mort ne peut pas être résolue), mais pour lesquelles il faut plutôt chercher des moyens de bien vivre avec.

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La mort est la situation inextricable par excellence. Avec elle, pas de solution, sinon des moyens pour mieux vivre dans sa perspective.

Ainsi, face à un predicament, il n’y a pas de solutions, mais il y a des chemins à prendre. On peut, par exemple apprendre à bien vivre avec un diabète de type 1 (grâce aux piqûres d’insuline quotidiennes), et on peut aussi apprendre à bien vivre avec l’idée de notre propre mort. D’ailleurs, c’est cela qui rend la vie plus savoureuse et plus authentique… Mais malheureusement cette question de la mort reste assez taboue dans notre société, ce qui peut expliquer la gêne qui rôde autour de l’idée d’effondrement.

À l’échelle de la société, donc, être prêt à bien vivre les catastrophes qui arrivent, c’est donc d’abord accepter qu’elle puissent mettre fin à notre civilisation. Ce n’est qu’en envisageant le pire (un effondrement brutal et violent) que l’on peut non pas éviter un effondrement, mais espérer trouver un chemin pour diminuer les souffrances, le nombre de morts violentes et l’anéantissement des autres êtres vivants. C’est aussi en acceptant la mort que l’on peut ouvrir la voie à une possible renaissance… après l’effondrement.

Ainsi, les « solutions », aussi enthousiasmantes soient-elles, ne nous permettront pas de« résoudre le problème » de l’effondrement, mais simplement de mieux vivre avec.


- Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Éd. Le Seuil, 304 p., 19 € .


[1Pablo Servigne & Raphaël Stevens. Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Seuil, 2015.

[2Ce petit sondage sans prétention a été réalisé entre le 21 et le 29 mars 2016 sur mon mur Facebook, à destination du public (pas seulement de mes «  amis  »). Le biais d’échantillonnage est donc causé par l’algorithme Facebook (que je ne connais pas) et par l’affinité des participants pour le sujet de l’effondrement.